La société des loups
Les loups apportent un sérieux démenti à l’un des mythes fondateurs des sciences humaines, celui pour lequel la société serait une invention humaine et reposerait sur la culture et l’ordre symbolique.
Observons une meute de loups, par exemple ces loups gris qui survivent dans les grandes régions semi-désertiques de Russie et d’Asie. Ils vivent en groupes composés de cinq à quinze individus environ. Chacun contrôle un territoire dont les frontières sont délimitées par des traces olfactives et par les hurlements nocturnes qui signalent sa présence à plusieurs kilomètres à la ronde. La petite communauté est rassemblée autour d’un couple dominant, généralement fidèle pour la vie, dont la femelle est seule autorisée à se reproduire au sein de la meute. Au printemps, elle donne naissance à plusieurs petits (quatre à six en général) qu’elle allaite pendant un mois environ. Les louveteaux seront ensuite alimentés par de la nourriture régurgitée par leurs parents et « tantes », ces dernières étant les femelles qui ont rejoint le groupe ou sont nées dans la meute depuis un an ou deux. Lorsque les petits atteignent 2 ans et sont en âge de se reproduire, certains sont chassés du groupe. Ils vont alors errer quelque temps en solitaires à la recherche d’une autre meute. Si c’est un mâle, il devra souvent combattre le mâle dominant pour s’imposer. Si c’est une femelle, elle devra simplement chercher à se faire accepter. D’abord repoussée comme une intruse, elle devra subir quelques sévères corrections. Mais si elle persiste à suivre la meute et fait preuve de soumission (par des postures caractéristiques lors des attaques), elle sera alors un jour acceptée.
La chasse est un autre aspect de la vie sociale des loups. Carnivores opportunistes, les loups se nourrissent souvent de petits mammifères (rats, mulots, lapins) ou de poissons attrapés dans le lit des rivières. Mais ils sont surtout connus pour être de redoutables chasseurs de grosses proies – renne, bœuf musqué ou même bison. Leur technique de chasse relève d’une stratégie de groupe où chacun a un rôle à jouer. La meute avance en file indienne, sous la conduite d’un des mâles. Chacun marche dans les pas de celui qui le précède. Lorsqu’un groupe de caribous ou de bœufs musqués est repéré, les loups se dissimulent, restant face au vent pour cacher leur présence, et observent. Les bœufs musqués sont aussi des animaux sociaux qui ont déployé des stratégies collectives pour se défendre. Lorsqu’ils se sentent menacés, les bœufs forment un cercle autour des petits et se serrent les uns contre les autres. L’un des stratagèmes employés par les loups est le suivant. L’un d’entre eux sort de derrière les buissons où se cache la meute et vient provoquer l’un des bœufs. Voyant un loup solitaire s’approcher, les bœufs ne se sentent pas menacés car ils savent qu’un loup seul n’est pas vraiment dangereux. Ils n’hésitent pas à charger. Le loup fait alors mine de s’enfuir, poursuivi par un bœuf qui croit avoir eu gain de cause. En réalité, l’animal vient de quitter son cercle de défense et s’est approché des buissons. Son sort est scellé ! La meute surgit tout à coup de sa cachette et se lance sur lui. Ils vont l’attaquer de toutes parts, lui mordant surtout l’arrière-train, les pattes et les flancs jusqu’à ce qu’il tombe au sol. Le mâle dominant va alors chercher à l’attraper par le museau et à l’immobiliser, pendant que la meute s’acharne sur lui. En quelques minutes, la victime est achevée. Vient alors le moment de dévorer la proie. Le couple dominant se servira en premier, pendant que les autres attendent leur tour. Chez les loups, le repas suit un ordre de préséance très précis.
Des castes chez les rats-taupes
Les rats-taupes sont de très curieux animaux. Outre leur morphologie, leur organisation sociale est unique chez les mammifères : elle s’apparente à celle des fourmis et des termites. Présents en Afrique de l’Est, ces rats vivent sous terre dans de grandes galeries. Les rats-taupes s’organisent en colonies elles-mêmes divisées en castes. La caste des ouvriers est dévolue à la quête de nourriture pour les petits ; elle s’occupe aussi de creuser les galeries et de les entretenir. Les non-ouvriers sont les plus gros, se contentant de rester auprès des petits et de les réchauffer en dormant auprès d’eux. Au sommet de la hiérarchie se trouve la reine, seule femelle reproductrice. Très fertile, elle accouche de quatre portées par an (d’une dizaine de petits).