En l'espace de quelques décennies, la famille a connu dans les sociétés occidentales une profonde mutation, passant du statut d'institution garante de l'ordre social à celui d'association d'individus. D'importantes réformes ont accompagné et symbolisé cette métamorphose, en aménageant la loi sur des questions telles que le divorce, l'autorité parentale, la contraception, les droits de l'enfant, le Pacs...
Le droit occupe une place croissante dans la constitution et la gestion de l'univers privé des individus, pour trois raisons principales. La première est liée à une tendance lourde : les individus aspirent à davantage d'autonomie et les comportements se libéralisent. La plupart des réformes du droit de la famille répondent à cette demande d'indépendance individuelle. La réforme du divorce de 1975 l'illustre parfaitement. Avant, le divorce constituait une perturbation grave risquant de mettre en péril la famille conçue comme une institution remplissant des fonctions essentielles pour la société tout entière : il fallait donc soit l'interdire (ce qui fut le cas pendant longtemps), soit le rendre difficile. En libéralisant les pratiques, la loi du 11 juillet 1975 prend acte de l'aspiration des individus à pouvoir se séparer s'ils l'estiment nécessaire.
La deuxième raison de cette intrusion du droit dans la sphère privée émane de ce premier changement. La libéralisation s'accompagne en effet d'une demande renforcée de protection contre les « risques familiaux » qui, dans bien des cas, se transforment en risques sociaux : par exemple, l'augmentation du nombre de familles monoparentales a donné lieu à la mise en place de prestations sociales spécifiques, comme l'allocation de parent isolé. Paradoxalement, une demande de « droits à » davantage d'autonomie individuelle, s'exprimant en termes de droit civil, suscite une demande s'apparentant à l'assurance, s'exprimant dans le registre du droit social.
L'éclatement du modèle familial
Troisième explication : ces mutations s'inscrivent dans un cadre plus général, que l'on a appelé la « juridicisation » des relations sociales. Avec l'affaiblissement de l'Etat, le poids grandissant de la « société civile », la volonté d'autonomie individuelle, la complexification des relations sociales et économiques, le droit devient de plus en plus un instrument de gestion des rapports sociaux. La famille s'inscrit pleinement dans ce phénomène, dans la mesure où une régulation négociée se substitue à une régulation imposée. Les liens ne sont plus prescrits, mais consentis, et le droit est l'instrument de gestion de ces liens consentis. D'où le développement des conventions, des contrats. Le Pacs est une illustration de cette notion de contrat passé entre individus libres et égaux.
Pour mieux comprendre la logique de ces phénomènes, il est nécessaire de rappeler dans le détail les transformations de l'institution familiale. Ces mutations ont lieu dans l'ensemble des pays européens, même si elles s'opèrent à des rythmes différents et selon des modalités qui peuvent varier d'un pays à l'autre, en raison de traditions culturelles, politiques, religieuses ou juridiques 1.
Ainsi, la constitution du couple ne passe plus forcément par le mariage. L'adoption du Pacs en France constitue à cet égard une véritable révolution culturelle, dans la mesure où jusqu'à cette loi, le Code civil ne reconnaissait que le mariage comme mode de vie en couple. Corollaire de ce mouvement, un bouleversement des temporalités familiales : dans le modèle traditionnel, on avait un cycle de vie familiale linéaire représenté par les fiançailles, le mariage, la naissance des enfants... A ce schéma inscrit dans la longue durée, se substitue un temps court, une succession de séquences : un même individu pourra être célibataire, puis marié, puis divorcé, puis en concubinage, puis au sein d'une famille recomposée... Un chiffre témoigne de cette mobilité de la structure familiale : en moyenne, près d'un mariage sur trois se solde par un divorce.