Familles rouges contre familles bleues

La montée du néoconservatisme moral a-t-elle produit de bons résultats ? Non : il y a plus de désordres familiaux dans les régions républicaines que dans les régions démocrates. Tel est le résultat d’une enquête qui a fait quelque bruit depuis deux ans.

Abondamment commenté depuis, Red Families vs Blue Families n’est pas un pamphlet, mais le fruit d’une étude bien documentée des conséquences juridiques et sociales de la montée du néoconservatisme moral aux États-Unis. Des années 1970 à nos jours, on a en effet assisté à une polarisation entre deux Amériques : l’une, métropolitaine, libérale, cosmopolite et antisexiste, votant démocrate, l’autre, plus provinciale, conservatrice, souvent raciste et sexiste, votant républicain. Le conflit s’est aiguisé, en particulier sur la question de la place de la religion, de la sexualité des jeunes et de la morale familiale. On a assisté à une diversification juridique dans le domaine des mœurs selon les colorations politiques des États : les lois sur la contraception, l’avortement, le divorce, l’âge au mariage, l’aide aux femmes isolées peuvent y être très différentes. De nombreux États républicains ont accueilli avec faveur les campagnes pour l’abstinence sexuelle et contre l’homosexualité chez les jeunes, tandis que d’autres – démocrates – facilitaient l’avortement et reconnaissaient l’union homosexuelle. Deux modèles de famille se sont trouvés en franche opposition : le modèle rouge (couleur des républicains) revendiquant une morale traditionnelle (sexualité limitée à la reproduction, mariage précoce, prolife) et des rôles sexués bien marqués, et le modèle bleu (couleur des démocrates) fondé sur la promotion égale des sexes et une morale libérale (sexualité non reproductive, contraception et mariage tardif). Le paradoxe tient à ce que l’examen des comportements observés montre qu’ils sont, en bonne partie, l’inverse de ceux attendus : les régions « rouges » présentent des taux de divorce et de naissance hors mariage supérieurs à ceux des régions « bleues ». Un tel constat peut certes aider à comprendre comment, devant le spectacle de ses propres désordres, l’opinion néoconservatrice s’est radicalisée. Mais il met aussi en évidence l’inefficacité d’une telle réaction. Naomi Cahn et June Carbone insistent sur le fait qu’en revanche, les familles « bleues », bien qu’impliquées dans la promotion de la liberté de mœurs, ont pu atteindre un équilibre plus serein en évitant les mariages non désirés, en pratiquant des unions tardives et moins fragiles, et en favorisant l’autonomie féminine. Au passage, elles soulignent en particulier l’échec des mots d’ordre d’abstinence, l’âge des premiers rapports étant identique quel que soit le degré d’exposition à ces morales musclées. Ce message ne doit pas être confondu avec une invitation au désordre amoureux : les deux auteures ne cachent pas leur estime pour l’institution du mariage et la stabilité conjugale qui devraient, selon elles, être les objectifs recherchés de concert par toutes les familles, qu’elles soient « rouges » ou « bleues ».