Sciences Humaines : Comment interpréter l'émergence, puis l'enracinement d'un parti comme le FN dans le paysage politique français ?

Nonna Mayer : Plusieurs facteurs permettent de l'expliquer. Il y a d'abord la crise économique et la montéedu chômage, le sentiment d'insécurité qu'elles provoquent. Il y a les inquiétudes suscitées par l'immigration, la construction européenne, la mondialisation de l'économie, vécues comme une atteinte à l'identité nationale. Il y a enfin un désenchantement politique, nourri par la succession des « affaires », l'usure des partis de gouvernement, le sentiment croissant de leur impuissance à juguler la crise.

Mais aucun de ces éléments n'a eu un effet mécanique, direct, sur la percée de l'extrême droite. Le facteur qui a joué le rôle de déclencheur, cristallisé le ressentiment anti-immigrés et ouvert un espace politique au FN, est la victoire de la gauche en 1981. Elle a d'abord radicalisé une fraction de la droite, exaspérée par l'arrivée au pouvoir des « socialo-communistes » qu'elle exécrait. Puis elle a déçu un électorat populaire qui voyait dans la gauche le défenseur traditionnel des déshérités. Le tournant de la rigueur, la Guerre du Golfe, la signature du traité de Maastricht marquent les étapes de la percée du FN en milieu populaire et la montée d'un « gaucholepénisme » qui culmine à l'élection présidentielle de 1995.