Fusions, acquisitions : les voies du capital

Fusions, acquisitions, capitalisation... Les opérations de bourse affectent en profondeur les grandes entreprises. Ce marché, à défaut d'être aussi irrationnel et incontrôlé que le disent certains, se révèle à l'examen riche d'enseignements sur les pratiques du capitalisme contemporain.

Au cours de la dernière décennie, la chronique des restructurations d'entreprises a été marquée par la succession continue d'annonces d'opérations boursières nouvelles, amicales ou hostiles. Entraînée dans une escalade ininterrompue, l'échelle de ces opérations a été portée vers des sommets nouveaux, aussitôt dépassés par des initiatives nouvelles.

Dans ce contexte, l'abandon des projets de fusion entre la Deutsche Bank et la Dresdner Bank, et entre Péchiney, Alcan et AluSuisse, annoncé au mois d'avril 2000, acquiert un retentissement particulier. Il marque l'échec de mégafusions qui auraient dû déboucher respectivement sur la constitution du premier groupe bancaire mondial et du deuxième opérateur dans l'industrie de l'aluminium. Alors que ces opérations avaient été médiatisées de façon tonitruante, leur abandon ne remet certes pas en question l'ampleur de la vague des restructurations en cours. Mais il incite à s'interroger sur la portée, les conditions de réussite et les facteurs d'échec d'un mouvement qui affecte, en profondeur, les structures et les pratiques du capitalisme contemporain.

Un mouvement d'une ampleur sans précédent

Les données relatives à 1999 font apparaître l'ampleur exceptionnelle du mouvement de fusions-acquisitions dans le monde. En 1998 déjà, les transactions mondiales avaient globalement mis en jeu environ 2 500 milliards de dollars d'actifs, contre 1 600 milliards de dollars pour 1997. Le montant de 4 000 milliards devrait avoir été dépassé en 1999.

La progression de l'activité de restructuration concerne aussi bien les Etats-Unis que l'Europe ou l'Asie, même si les taux de croissance connaissent des évolutions disparates dans ces différentes zones. Les Etats-Unis demeurent le premier foyer de l'activité mondiale de fusions-acquisitions puisque les opérations enregistrées dans ce pays en 1998 concernaient près de 1 500 milliards de dollars.

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Quant aux transactions mettant en jeu des entreprises européennes, elles se montaient à plus 1 400 milliards de dollars en 1999 contre 900 milliards en 1998. L'Europe apparaît ainsi comme le deuxième pôle géographique des restructurations d'entreprises, compte tenu à la fois des initiatives de groupes européens acquéreurs et des prises de contrôle subies par des unités européennes.

En participant de façon plus active à ces opérations de restructuration, les entreprises françaises rejoignent un mouvement général. Ainsi, en 1999, la valeur totale des transactions avec une composante française se montait à 1 870 milliards de francs, qui englobent des restructurations entre acteurs domestiques à hauteur de 895,5 milliards, des acquisitions de 767,9 milliards réalisées par des groupes français à l'étranger, et des acquisitions de 207 milliards réalisées par des groupes étrangers en France. Malgré le niveau déjà atteint par ces transactions, les entreprises françaises conservent encore un potentiel important de concentrations et de restructurations. Avec des secteurs industriels, financiers ou tertiaires moins concentrés que dans d'autres grands pays développés, et des entreprises dont la taille reste le plus souvent en retrait de celle de leurs principaux concurrents étrangers, la France devrait connaître une poursuite durable de ce mouvement et de nouvelles vagues de fusions et d'acquisitions.

Pour évaluer la portée des restructurations en cours, il faut d'abord dégager le rôle spécifique des fusions et acquisitions dans les mouvements de réorganisation capitalistique qui affectent les entreprises.

De façon générale, une opération de fusion-acquisition constitue une opération de croissance externe. Elle peut être décidée de façon unilatérale par un des protagonistes concernés, qui prend l'initiative d'une opération hostile ou, pour utiliser les euphémismes qui ont cours, inamicale ou non sollicitée ; mais elle peut également procéder d'un accord entre les groupes de contrôle des entreprises concernées et revêt alors le caractère d'une opération amicale. Quelles que soient les conditions dans lesquelles elle est engagée, une telle opération débouche soit sur l'absorption d'une ou de plusieurs entités par une autre, soit sur la constitution d'une entreprise nouvelle, née de la fusion des entités intégrées. Dans certains cas encore, la formation ou l'extension d'un groupe permet de fédérer plusieurs entreprises, qui conservent leur indépendance juridique mais acquièrent une unité de décision et une cohérence stratégique grâce à l'établissement, entre elles, de liens en capital.

Malgré la diversité de leurs modalités, ces opérations ont en commun de mettre en jeu les structures capitalistiques des entités qu'elles concernent. Elles se traduisent par un réaménagement du périmètre juridique et stratégique de ces dernières. A cet égard, elles diffèrent de relations interentreprises d'un autre type, qui appuient des coopérations durables sur le recours à des mécanismes contractuels sans exiger nécessairement des prises de participation ou des prises de contrôle 1. De tels partenariats, qui économisent les mises de fonds imposées par des acquisitions importantes, correspondent à la mise en commun de certaines activités par plusieurs entreprises.