Génome humain : la quête du Graal

Au début des années 1990, le séquençage intégral de notre génome devait permettre de découvrir la nature et l’identité des humains. Pour ses détracteurs, il a surtout consacré la fin du « siècle du gène ».

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Au milieu des années 1980, des chercheurs ont envisagé indépendamment les uns des autres de séquencer l’ADN humain dans son intégralité 1. Les progrès technologiques réalisés depuis les années 1970 permettaient d’indexer les milliards de paires de bases nucléiques portées par les chromosomes, composant le patrimoine génétique d’un individu. Le projet était de comparer celui de différentes personnes pour en déduire le génome de l’humanité. Les biologistes espéraient ainsi mieux comprendre les maladies dites d’origine génétique, les effets de mutations et de radiations, voire… la nature humaine elle-même ! Officiellement lancé en octobre 1990, le projet Génome humain (HGP) était en effet présenté comme une « quête du Graal » par l’un de ses principaux promoteurs, le biologiste Walter Gilbert : « Une séquence de trois milliards de bases peut être enregistrée sur un seul CD, se réjouissait-il, et l’on pourra sortir un CD de sa poche en disant : “Voici un être humain, c’est moi !” » W. Gilbert ajoutait que le HGP ne permettrait rien de moins que de savoir « ce qui fait de nous des humains » 2.

De nombreux biologistes et philosophes de la biologie promoteurs du HGP – James Watson (Prix Nobel en 1962 pour ses découvertes sur l’ADN) ou Renato Dulbecco (Prix Nobel de médecine 1975) – anticipaient non seulement l’essor d’une nouvelle médecine, mais aussi des réponses définitives aux grandes questions existentielles sur l’identité, la nature humaine ou encore le sens de la vie. « La séquence ADN est la réalité de notre espèce », écrivait dans cet esprit R. Dulbecco 3. Séquencer le génome de plusieurs individus était une entreprise longue et coûteuse, supposant de mobiliser d’importants moyens – équipes de recherche, technologies, infrastructures… – pendant une dizaine d’années au moins. Ces chercheurs étaient donc poussés à promettre des résultats exceptionnels voire fantaisistes pour obtenir des financements 4. Quelques partisans du HGP ont cependant fini par reconnaître des exagérations. Victor McKusick ou C. Kenneth Waters, par exemple, préféreront parler d’un projet de recherche fondamentale, consistant plus modestement à recueillir des données potentiellement utiles pour la biologie et la génétique. Reste que les discours promouvant le HGP auront globalement conforté une fascination des pouvoirs politiques et du grand public pour l’ADN à l’époque : le moindre trait phénotypique d’un individu – couleur des yeux, endurance, quotient intellectuel… – semblait pouvoir être interprété comme un pur produit de ses gènes.