Surpris par l’emballement et l’ampleur de la mondialisation depuis une vingtaine d’années, nous devons nous faire une raison : c’est un processus de longue durée. Le géohistorien Christian Grataloup décrit l’Europe, toute à son travail de « couture » à partir du XVIe siècle, élargissant le champ des relations à la dimension mondiale. Circulent alors quelques produits légers (épices, soie…) ou immatériels (capitaux), et aussi les idées, les projets… Des hommes, dont Henri le Navigateur et l’amiral chinois Zheng He, maîtrisant de solides techniques de navigation maritime avec les caravelles et les jonques, lancent les États dans la compétition. La capture de l’Amérique par l’Europe donne à cette dernière un avantage décisif au moins jusqu’au début du XXe siècle.
L’auteur a l’art de contourner les points de vue les plus évidents : ce sont les manques de l’Europe qui sont à l’origine des conquêtes coloniales. Des conquêtes qui, au final, « produisent le sous-développement », notamment en Afrique subsaharienne, région déjà fragile avant le XVIIe siècle. Le « stade suprême du nationalisme », soit selon C. Grataloup cette « grande guerre civile européenne » que fut la guerre de 1914-1918, établit le règne mondial des États-Unis s’appuyant sur l’arme industrielle. Elle reformate les échelles, change la nature des pavages territoriaux, et les manières de penser l’homme comme un individu dans des sociétés majoritairement holistes. D’où les antidotes identitaires, mais aussi le besoin de garder une ambition universaliste qui pourrait enfanter, avec l’écologie et l’environnement, une identité « à l’échelle de l’écoumène ». En se gardant de bien voir qu’en l’état actuel « l’universel est très occidental » et qu’il faut encore creuser « la mondialisation comme une question épistémologique ».