L’amour, le secret, les cadres de tableaux, l’aventure, la mode… À s’en tenir à certains des (nombreux !) thèmes qu’il a abordés, Georg Simmel pourrait passer pour un penseur futile. On ne comprendrait pas alors comment il a pu devenir l’une des influences majeures de la sociologie du XXe siècle. C’est que, derrière la légèreté des sujets traités, la pensée de Simmel propose une perspective originale et profonde sur la vie sociale et le tragique de la condition moderne.
Les formes de la vie sociale
Simmel n’est pas un sociologue de terrain. S’il trouve dans l’air du temps de son époque des contenus, il cherche d’abord à mettre en évidence ses contenants, ce qu’il appelle les « formes », qui structurent la vie sociale et sont l’objet propre de la sociologie. Par exemple, Simmel ne s’intéresse pas à la mode en tant que telle, encore moins à telle ou telle mode, mais perçoit derrière ce phénomène l’expression de deux formes, l’imitation (la mode consiste à s’habiller comme ses semblables…) et la distinction (…tout en se démarquant des autres groupes sociaux), qui sont des traits universels de la vie sociale. Cette dernière se constitue à l’endroit où des contenus « qui ne sont pas encore en eux-mêmes sociaux » (les intérêts, les désirs, les pulsions… des individus) rencontrent les formes (la domination, la division du travail, la « division en partis », l’État…) qui leur permettent de s’exprimer socialement, formes qui constituent l’objet propre de la sociologie. D’où des aperçus saisissants : ainsi Simmel rapproche-t-il le vol et le cadeau en tant qu’expressions de la forme « échange », ou encore voit-il dans le secret et la parure (vêtements, bijoux) deux formes d’ornement, car celui qui les possède se distingue des autres.