La solidarité a une histoire

Des sociétés de chasseurs-cueilleurs à l’État providence en passant par les hôtels-Dieu médiévaux, l’histoire humaine est jalonnée de preuves tangibles d’entraide, de générosité et de solidarité.

Chez les pygmées Aka, qui vivent dans la forêt équatoriale africaine, lorsqu’un chasseur tue une grosse proie comme une antilope, il est d’usage que l’animal soit découpé et partagé. Une part est destinée à la femme du chasseur et ses enfants (dans certains cas, il y a deux ou trois épouses et autant de foyers) ; une part est dévolue aux beaux-parents ; une autre revient à ses compagnons de chasse, d’autres aux proches. Les gens de passage reçoivent également un morceau de viande. Au final, il ne reste plus grand-chose pour le chasseur lui-même 1.

Ce généreux partage n’a rien de spontané : il relève de l’obligation sociale. Ainsi, la part réservée aux beaux-parents est destinée à s’acquitter d’une dette : c’est le « prix de la fiancée » que le chasseur doit payer à la famille de son épouse durant plusieurs années.

Dans la plupart des sociétés de chasseurs-cueilleurs, des règles de partage similaires ont été établies : chez les Inuits, le phoque est découpé et distribué en quatorze parts ; chez les Aborigènes d’Australie, la redistribution du kangourou suit des règles précises.

Le partage du gibier n’est qu’une des multiples formes de solidarité présentes chez les populations traditionnelles. L’anthropologue Sarah Hdry a consacré une étude de référence à l’importance des « alloparents » pour l’éducation des petits 2. Ainsi chez les Bushmen du Kalahari, une jeune mère bénéficie de l’aide de ses belles-sœurs, de ses tantes et de sa belle-mère pour s’occuper des enfants quand elle est occupée ailleurs – ne dit-on pas qu’en Afrique il faut tout un village pour élever un enfant ? Autre forme d’assistance très différente : l’alliance guerrière. Chez les Nuers d’Afrique de l’Est, par exemple, chaque clan reçoit le soutien d’un clan allié en cas de conflit guerrier.

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Une histoire encore à écrire

Partout, il existe également des règles d’hospitalité : on accueille volontiers l’étranger qui en fait la demande, on lui offre le repas, le gîte 3. Parfois même, comme chez les Inuits, on offre sa femme à l’invité pour la nuit. Chez les Papous de Nouvelle-Guinée comme chez les Aborigènes, il est d’usage d’accueillir les étrangers, mais le membre d’un clan ennemi qui viendrait faire intrusion sur le territoire tribal risquerait d’y perdre la vie.

Il n’est pas de société humaine qui n’adopte des règles de solidarité – partage de nourriture, hospitalité, entraide dans le travail ou dans la guerre, etc. Ces liens solidaires peuvent être familiaux, claniques, corporatifs, associatifs, religieux ou citoyens. Ils peuvent être à sens unique (comme l’hospitalité à l’égard d’un étranger) ou relever du don réciproque (comme le partage du gibier entre chasseurs).