Hasard du calendrier, voici deux livres qui ont en commun d’être signés par de grands noms de l’anthropologie et de comporter un nombre important de pages. Le sujet y est pour quelque chose, l’objectif étant de comprendre comment l’Occident, en cinq à six siècles, a réussi à exporter dans le monde entier ses catégories mentales, son capitalisme, sa modernité.
Le premier ouvrage, signé par Maurice Godelier, reprend une question posée dans ses livres antérieurs, pour la prolonger : peut-on se moderniser sans devenir occidental ? Il cite un jeune Baruya de Nouvelle-Guinée qui un jour lui déclara : « Être moderne, Maurice, c’est suivre Jésus, et faire du business. » Entre 1967 et 1988, l’anthropologue a vécu parmi les Baruyas, chroniquant les transformations sociétales résultant du déferlement de techniques (avion, recensement, monnaie, etc.) et de croyances (christianisme…) venues d’au-delà les océans. C’était là l’écho tardif de l’impact planétaire d’une Europe ayant imposé au reste du monde sa révolution industrielle et ses institutions politiques, de même que, durant un siècle, sa puissance militaire. L’ouvrage de M. Godelier dresse un panorama mondial de l’expansion de l’Europe, en s’attardant autant sur la genèse que sur la réception de cette expansion par les autres peuples, entre résistance, collaboration de certaines élites et assimilation syncrétique des éléments de la modernité charriés par l’Occident. Il y est question de la Russie de Pierre le Grand comme du Japon de l’ère Meiji, de l’Inde contemporaine et de la société aztèque brisée par la colonisation espagnole. L’originalité de ce livre réside dans ses sources, qui compilent essentiellement des sources françaises. Pas de mention de l’histoire globale anglo-saxonne, qui, depuis soixante-dix ans, s’efforce de répondre à la question « pourquoi l’Europe ? », avec des auteurs comme William McNeill, Alfred Crosby, Joel Mokyr, Kenneth Pomeranz, pour ne citer qu’eux.