Peut-on dire aujourd’hui, dix ans après la mort de Georges Duby, qu’il a contribué à renouveler le regard porté sur le Moyen Age en général, et sur la société médiévale en particulier ?
Certainement. Mais il faut s’entendre. G. Duby a publié son premier article en 1946 et il a atteint, parmi les médiévistes, une solide notoriété dès les années 1950. Sa thèse sur La Société aux XIe et XIIe siècles dans la région mâconnaise en 1953 s’est rapidement imposée comme un modèle, son Histoire de la civilisation française (en collaboration avec Robert Mandrou) en 1958 a connu un succès immédiat, enfin sa synthèse sur L’Economie rurale et la Vie des campagnes dans l’Occident médiéval (1962) est apparue presque aussitôt comme la source d’inspiration et le point de départ privilégié de toute réflexion sérieuse sur la société médiévale. Mieux qu’André Déléage (le premier, sinon le seul médiéviste, élève de Marc Bloch à Strasbourg, à avoir tenté de traduire concrètement les directives du maître de la « nouvelle histoire »), G. Duby a su montrer que l’on peut tirer des cartulaires (1) tout autre chose que les considérations misérablement juridistes auxquelles on était jusque-là habitué. Et cette leçon est plus vivante que jamais : la thèse sur le Mâconnais est toujours une lecture obligatoire des médiévistes débutants.
Dans les années 1960, G. Duby s’est tourné résolument vers l’emploi de documents visuels, choisissant une nouvelle fois de s’écarter de l’approche pauvrement formaliste des traditions de « l’histoire de l’art », et il en est résulté la grande trilogie parue chez Skira (2). Un peu plus tard (dès le début des années 1970), il s’intéressa à la « famille », et organisa, avec Jacques Le Goff, un colloque sur « Famille et parenté au Moyen Age », qui reste l’acte de naissance de cette perspective de recherche en France.
On pourrait continuer, la suite est connue. Tous ceux qui ont fréquenté G. Duby l’ont constaté : cet homme était épris du progrès des connaissances ; à l’inverse de la plupart de ses collègues, il n’a jamais hésité à emprunter pour ainsi dire systématiquement des voies de traverse, et son jugement rigoureux lui a permis de pénétrer, souvent le premier, dans des terrains inexplorés dont il a su montrer toute la fertilité. Il n’a pas manqué de bons médiévistes, en France et en Europe, dans la seconde moitié du xxe siècle, et le progrès global est sans aucun doute un progrès collectif. Mais G. Duby fait partie de la catégorie très rare de ceux qui furent capables tout à la fois d’ouvrir des pistes et de proposer pour ainsi dire d’emblée des synthèses fondatrices.