Handicap, la scolarisation à tout prix ?

Accueillir à l’école tous les enfants porteurs de handicaps, quels que soient le degré et l’étendue de leurs troubles, tel est le principe de l’école inclusive. Consacré par la loi, cet idéal se heurte pourtant à bien des difficultés sur le terrain. Au point d’être remis en question ?

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Encore impensable dans les années 1980, la scolarisation en classe ordinaire des enfants handicapés est devenue la règle depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances. Avec cette mesure, l’État entendait promouvoir l’avènement d’une société de la diversité tout en accédant aux revendications de longue date de parents d’enfants handicapés, pour qui l’école restait un privilège souvent inaccessible. Suffisait-il néanmoins de proclamer l’inclusion de tous pour bouleverser l’héritage ségrégatif du système éducatif français ? Treize ans après la loi qui a ouvert les portes de l’école, les initiatives encourageantes ne manquent pas, mais la révolution annoncée se fait toujours attendre.

Objectif inclusion

Matthieu a 5 ans. Il est autiste, il ne parle pas et peut parfois entrer en crise. Grâce à la loi de 2005, cela fait deux ans qu’il est scolarisé. Son grand frère, lui aussi autiste, n’aura pas eu cette chance. Matthieu a dû se familiariser avec le bruit et les mouvements incessants des autres élèves, mais avec l’aide de son accompagnante scolaire, tous ont fini par s’apprivoiser. Les enfants de sa classe ont appris à parler plus bas, à ne pas le brusquer, ils ont réalisé qu’eux aussi trouvaient du plaisir à travailler dans le calme. Dans la cour de récréation, ils expliquent désormais aux autres enfants comment communiquer et jouer avec Matthieu, un camarade bien plus semblable que différent. Les belles histoires comme celles-ci sont nombreuses. Elles incarnent l’idéal de société que l’État français tente d’encourager : celui d’une société dite « inclusive ». Selon ce modèle 1, l’école est vue comme un bien commun, dont tous les enfants doivent pouvoir être membres, quels que soient leurs spécificités et leurs handicaps. Une finalité ambitieuse, qui exige de l’école qu’elle ne se contente plus d’intégrer les seuls élèves handicapés qui auraient su s’adapter à elle, mais de se transformer pour que chacun puisse pleinement en tirer profit. Devant cette tâche immense, l’école française a défini une étape intermédiaire, introduite par la loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l’école : l’inclusion scolaire. Tout en préservant l’organisation du système éducatif, l’inclusion scolaire se donne pour objectif d’accueillir en classe ordinaire l’ensemble des enfants porteurs de handicaps. Deux dispositifs pédagogiques ont été principalement développés pour cela : celui des accompagnants scolaires individuels, qui interviennent aux côtés de l’élève au sein de la classe ordinaire ; et celui des unités localisées pour l’inclusion scolaire (ulis) où les élèves partagent leur temps entre une scolarisation en classe ordinaire et des regroupements en classe spécialisée. Pour encourageante qu’elle soit, l’inclusion scolaire ne fait pourtant pas l’unanimité : « Ouvrir les portes de l’école ne suffira jamais ! Notre système est trop sélectif, trop attaché à ses normes, à ses notations et à ses programmes », affirme Christine Philip, maîtresse de conférences honoraire à l’Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INSHEA), qui craint que cette demi-mesure enterre le rêve d’une école inclusive.

Des parcours du combattant

Simple sur le papier, l’inclusion scolaire reste pourtant décrite par les parents comme un véritable « parcours du combattant ». Car en France, si la scolarisation est un droit, l’école n’en est pas un. C’est la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) qui est chargée de statuer sur le mode de scolarisation – en milieu médico-éducatif ou à l’école – de chaque enfant et d’évaluer les moyens matériels, financiers et humains adaptés à ses besoins. Presque jamais consultés, les parents témoignent sur les forums Internet de l’anxiété avec laquelle ils attendent la notification de la MDPH, dont dépendra le quotidien de leur enfant pour plusieurs années. Nul d’entre eux n’ignore le morceau de bravoure que représente une procédure de contestation. Lorsqu’une scolarisation en milieu ordinaire est décidée, le relais est passé aux équipes de suivi de la scolarisation (ESS), chargées de faire le lien entre les établissements scolaires, la famille et la MDPH, et de mettre en œuvre les aménagements nécessaires. Cette traduction ne se fait pourtant pas sans heurts. À la rentrée 2017, le ministère de l’Éducation nationale estimait encore à 2 % (soit 3 280 élèves) le taux d’élèves handicapés en attente de recrutement de leur accompagnant. Une défaillance trop souvent synonyme de déscolarisation pour les nombreux enfants autistes pour qui ce soutien est indispensable, non seulement à leurs apprentissages, mais aussi au bon déroulement de la classe.