Hérodote, le père de l'histoire

Grâce à Homère, l’histoire avait ses muses. Avec Hérodote, elle s’est trouvé un père. Pour la première fois, il y a 2 500 ans, ce Grec d’Asie mineure raconte les événements du passé en s’émancipant de l’inspiration divine, lui préférant une enquête raisonnée qu’il mène dans le monde entier.

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À la fin du 5e siècle avant notre ère, un Grec du nom d’Hérodote s’installe à Thourioi, une cité du golfe de Tarente (Italie actuelle). Là, face à cette Méditerranée qu’il a tant sillonnée, il rédige sur de longs rouleaux de papyrus le récit de l’extraordinaire aventure qui l’a mené quelques années plus tôt aux confins du monde connu.

Sa vie a commencé à plus de 1 000 kilomètres de là, dans la cité grecque d’Halicarnasse en Asie mineure (actuelle Turquie). Il y serait né vers - 480, d’une mère grecque et d’un père carien (d’origine locale). À une date indéterminée, il se lance dans le périple qui le mène de l’Égypte à la Libye en passant par la mer Noire et la Mésopotamie. Il séjourne ensuite à Athènes avant de terminer sa vie dans la colonie grecque de Thourioi. Nous ne savons pas grand-chose de plus de la vie de cet homme si curieux : paradoxalement, la biographie du « père de l’histoire » reste aujourd’hui encore très mal connue.

L’historien des guerres médiques

À défaut de connaître le « comment » de sa quête autour du monde, nous en savons en revanche le « pourquoi ». Dès les premières lignes de l’œuvre qu’il tire de ses voyages (œuvre que nous appelons aujourd’hui Enquête ou Histoires), Hérodote indique clairement son projet : « Préserver de l’oubli les actions des hommes, (…) célébrer les grandes et merveilleuses actions des Grecs et des Barbares, et (…) développer les motifs qui les portèrent à se faire la guerre. » Le récit d’Hérodote, c’est en effet d’abord l’histoire d’un conflit, plus précisément des guerres médiques.

L’œuvre commence par un exposé de leurs origines, à savoir une série d’enlèvements de femmes : Io est enlevée par les Phéniciens, Europe et Médée par les Grecs, Hélène par les Troyens. À en croire « les Perses les plus savants dans l’histoire de leur pays, nous explique Hérodote, la faute du conflit incombe aux Phéniciens ». Hérodote présente ensuite la version défendue par les Phéniciens. « Quant à moi, conclut-il, je ne prétends pas décider si les choses se sont passées de cette manière ou d’une autre. Mais j’indiquerai celui que je sais moi-même être le premier à avoir causé tort aux Grecs. » De là, découle le récit de l’ensemble de ce conflit, un récit d’autant plus précieux qu’il est l’une des rares sources que nous ayons sur cet événement géopolitique majeur du début du 5e siècle. À cette époque, le monde grec ancien est composé d’une multitude de cités réparties sur les rivages de la mer Noire et de la Méditerranée. Ces cités sont indépendantes politiquement mais partagent la même langue (avec des variantes régionales), les mêmes croyances et les mêmes rites. Or peu avant la naissance d’Hérodote, elles entrent en conflit avec leur puissant voisin, l’Empire perse (ou mède), en raison des volontés expansionnistes de ce dernier. Contre toute attente, les Grecs parviennent à repousser les tentatives d’invasion du roi Darius puis de son fils Xerxès. Aux yeux des Grecs, cette victoire sur l’Empire perse est le signe de la supériorité de leur mode de vie et de leurs institutions. L’importance de l’événement justifie donc pleinement l’intérêt d’Hérodote, qui nous décrit les multiples péripéties de ce conflit, jusqu’aux célèbres combats de Marathon (- 490) et de Salamine (- 480), au cours desquels les Athéniens furent « les premiers de tous les Grecs qui aient (…) soutenu la vue des (soldats mèdes), quoique jusqu’alors le seul nom de Mèdes eût inspiré de la terreur aux Grecs ».

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Écrire l’histoire du passé, voilà donc l’objectif premier d’Hérodote. Le projet en soi n’a rien d’original. Nous possédons bien des traces écrites de ce genre, qui remontent loin avant le 5e siècle, des listes royales des souverains égyptiens à la Bible. En Grèce même, quelques fragments de récits de fondation témoignent du plaisir que les cités avaient à se réciter l’histoire mythique de leurs commencements. Sans oublier bien sûr la grande œuvre grecque par excellence qu’est l’ensemble formé par Iliade et Odyssée, fixé par écrit au 8e siècle. De toute évidence, souligne l’historien François Hartog, directeur d’étude à l’École des hautes études en sciences sociales et auteur du Miroir d’Hérodote, consacré au célèbre historien, l’épopée homérique est le modèle d’Hérodote : là où Homère chante en vers l’histoire de la guerre de Troie, Hérodote raconte en prose l’histoire des guerres médiques.

Pourtant, dans la méthode, tout va séparer Homère et Hérodote. Chez Homère, l’histoire nous est contée par les muses, ces déesses de l’Olympe qui voient et savent tout, à travers la voie du récitant accompagné de sa lyre. Ce sont elles que le poète invoque dès les premiers vers : « Ô Muse, conte-moi l’aventure de l’Inventif : celui qui pilla Troie, qui pendant des années erra (…). »