Les pionniers et promoteurs du Web avaient beaucoup vanté ses capacités de création, de collaboration et d’émancipation. Or, force est de constater aujourd’hui qu’Internet se révèle aussi un outil de surveillance, de contrôle et d’exploitation des internautes et de leurs données. L’internaute est devenu un produit et la mesure de ses activités est le carburant de l’industrie numérique. Mais pourquoi et par quels dispositifs nos données sont-elles exploitées ?
Scruté, testé, rentabilisé
La surveillance est inscrite au cœur d’Internet et des réseaux de télécommunication. Chaque terminal qui s’y connecte se voit attribuer une adresse (adresse IP) qui peut fournir des indications sur sa localisation, le matériel de connexion, le navigateur utilisé… Sur le réseau nul n’est invisible.
Comme le rappellent les « logs » de chacune de vos connexions (l’historique des événements liés à votre session, c’est-à-dire l’enregistrement de tout ce que vous faites sur un site ou service : les pages que vous visitez, les liens sur lesquels vous cliquez, le site d’où vous venez, le temps passé sur les pages…), toute utilisation est liée à l’enregistrement d’informations. Ce sont ces traces qui forment l’essentiel des données personnelles qui constituent cet or noir qu’exploitent à l’unisson tous les services auxquels vous vous connectez. La surveillance est consubstantielle à l’usage des réseaux. Toute connexion est reliée à une adresse, à un parcours de navigation singulier qui enregistre votre présence et vos actions.
Des outils comme le célèbre Google Analytics permettent à la plupart des sites et services de mesurer chacun de vos clics : le temps passé sur les pages est décortiqué et analysé pour améliorer la productivité des pages et des produits. Tout est finement scruté, testé, rentabilisé. L’A/B testing permet de tester ainsi deux propositions, comme un titre d’article ou une couleur de bouton, et décider de la plus efficace selon leurs audiences respectives, les clics et réactions des internautes. Des milliers d’ingénieurs et de designers conçoivent des interfaces et des fonctions toujours plus séduisantes pour vous « accrocher », c’est-à-dire exploiter et rendre productives les moindres traces de votre comportement en ligne.
« La surveillance est le business model d’Internet »
Le spécialiste américain de la sécurité, Bruce Schneier, le rappelle avec insistance : « La surveillance est le business model d’Internet. » Cette surveillance intrinsèque explique en grande partie que la publicité soit devenue le modèle d’affaire par défaut, le fondement économique de l’industrie numérique. Elle offrait par nature un modèle économique facile à mettre en œuvre et à vendre à des investisseurs. La promesse de monétiser l’audience dont les systèmes enregistrent toute l’activité a été le péché originel du Web, confesse le chercheur Ethan Zuckerman, directeur du Centre pour les médias civiques du Massachusetts Institute of Technology, et, à l’époque où il n’était que développeur, inventeur de l’insupportable fenêtre pop-up, un des innombrables outils de traçage du Web. La promesse de rentabiliser l’audience par la publicité a été la boîte de Pandore qui a transformé l’enregistrement des connexions en corne d’abondance. Pour rentabiliser toujours mieux l’audience, l’industrie numérique n’a eu alors de cesse d’améliorer le traçage, la mesure, l’interprétation et le ciblage publicitaire. « Nous construisons des entreprises qui promettent aux investisseurs que la publicité sera plus invasive, omniprésente et ciblée, et que nous allons recueillir plus de données sur nos utilisateurs et leurs comportements », explique E. Zuckerman. La productivité publicitaire découle de la surveillance et les outils développés depuis n’ont eu de cesse de chercher à extraire de l’argent de l’enregistrement des données des utilisateurs.