À l’heure de la révolution iranienne de 1979, le sociologue et philosophe Ali Shariati, formé en France pouvait se présenter comme l’un des penseurs de la « gauche islamique ». Mais ce sont davantage des idées de Chris Harman (1942-2009), ancien dirigeant du Parti socialiste des travailleurs au Royaume-Uni, qui sont à l’origine de l’islamo-gauchisme. Cet intellectuel trotskiste avait rédigé en 1994 un article au titre suggestif : « Le prophète et le prolétariat » 1. Citant l’islamologue français Olivier Roy, il y dénonçait la tentative de réduire tous les islamistes de l’Afghanistan à l’Algérie à des « réactionnaires », tout comme celle d’assimiler le « fondamentalisme islamique » au fondamentalisme chrétien. C’est alors que, déçue par les classes populaires pour leur glissement à droite et leur inaptitude à porter la révolution, une frange de l’extrême gauche française s’est tournée vers les minorités, acceptant l’islamisme comme une arme et un allié dans sa lutte contre « l’impérialisme occidental ». Il faut attendre la parution en 2002 du livre de Pierre André Taguieff (La Nouvelle Judéophobie) pour que l’étiquette « islamo-gauchisme » soit apposée sur ce rapprochement. Nous sommes un an après la conférence de Durban, où des délégués altermondialistes et des sympathisants de l’islamisme ont dénoncé le caractère « raciste » de l’État d’Israël, au grand dam de l’Occident. En 2003, un autre pas est franchi avec l’invitation de l’islamologue suisse Tariq Ramadan au Forum social européen, ouvrant ainsi la voie à un compagnonnage entre islamistes et altermondialistes 2. Le journaliste Claude Askolovitch qualifiera l’année suivante de « gauchistes d’Allah » les militants altermondialistes qui côtoient des islamistes dans le combat antisioniste, ou encore les intellectuels de gauche laïcs et propalestiniens qui s’engagent contre l’islamophobie, comme Alain Gresh, ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique et fondateur du journal en ligne Orient XXI.
Sensible à cette cause, le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon en tirera quelque profit, mais c’est surtout le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), lequel se recompose en 2009 sur les décombres de la Ligue communiste révolutionnaire, qui se posera à l’avant-garde du combat pour la cause palestinienne, même gagnée à l’islamisme. Le NPA joue un rôle actif dans la dénonciation de l’islamophobie au côté du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) 3, dont Marwan Muhammad est le porte-parole. Ce dernier (ne pas confondre avec le sociologue Marwan Mohammed) est un ex-trader qu’on dit lié à des radicaux islamistes et porteur d’un discours proche de celui des Frères musulmans.