Jeunes des cités : du repli à l'intégration

Contrairement à une image largement répandue, le jeune de banlieue n'est pas le prototype du jeune délinquant. Une grande majorité se tient à l'écart des bandes. Et au sein de ces dernières, les profils de conduites restent très divers.

Qu'on les appelle « jeunes des banlieues », « sauvageons », ou « galériens », les jeunes des cités passent souvent pour être synonyme d'adolescents à problème ou de jeunes délinquants. Parler des jeunes des cités aujourd'hui, s'est renvoyer à un stéréotype : ce sont des garçons de 14 à 25 ans, d'origine immigrée, vêtus de jeans, de Nike, ayant des activités à la limite de l'illégalité et qui vivent en bande au pied des tours des cités HLM. Cette image tend à se renforcer au fur et à mesure de la fermeture de ces quartiers sur eux-mêmes.

Les études sociologiques montrent pourtant un visage bien plus diversifié de la jeunesse des cités. Le prototype du délinquant est loin d'être majoritaire. Beaucoup de jeunes se tiennent à l'écart de leurs camarades et poursuivent une voie d'intégration. Ils s'investissent dans le sport, les études, la musique. D'autres fréquentent provisoirement les bandes avant d'adopter un mode de vie beaucoup plus normal. Les filles ont par ailleurs une trajectoire sensiblement différente de celle des garçons. D'autres encore, même s'ils sont impliqués dans des actes de délinquance (drogue, vols, trafics...), le font selon des modalités très diverses : un « dealer » n'est pas un revendeur occasionnel. Parfois, le même jeune est tiraillé entre plusieurs logiques de socialisation.

Pour comprendre cette diversité, il importe d'abord de revenir à l'histoire et aux formes d'intégration sociale propres à la banlieue française.

S'éloigner de la cité

Lors de nos premières recherches, menées dans les années 80, nous avions été interpellées par les différences instaurées entre les habitants des cités HLM. Dans certaines familles, les personnes interviewées définissaient leur parcours par une volonté nette de se démarquer des autres : « Nous ne sommes pas comme ces jeunes, ces galériens, au chômage et dans la drogue, qui vivent au pied des tours. » Les jeunes de ces familles, ainsi que leurs parents, expliquaient leur stratégie pour ne pas partager ce destin : habitat en pourtour de la cité, scolarité à l'école privée, activités culturelles et sociales (sportive, associative...) situées en dehors de la cité. Même si des associations nombreuses permettaient de maintenir des solidarités entre les habitants, la peur de l'exclusion, de l'échec, de la drogue conduisaient les familles à mettre à l'écart leurs enfants des jeunes à risques. Les adolescents eux-mêmes éprouvaient une grande ambivalence à l'égard de leurs copains de classe, et ils cherchaient à s'éloigner progressivement des élèves à problèmes.

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Réussir ses études constituait, pour nombre d'adolescents issus de l'immigration, une façon de ne pas se laisser entraîner dans la même voie que certains de leurs copains ou frères aînés. Ainsi Sophie, à ses 18 ans, souhaitait devenir professionnelle de la justice. Elle avait d'abord envisagé d'être magistrat, puis s'est orientée vers des études de greffier. Depuis le début de sa scolarité, ses parents, gardiens de l'office HLM, avaient voulu établir une distance avec la cité; ils avaient déménagé dès que possible pour habiter dans un immeuble en pourtour de la cité et avaient mis leur fille à l'école privée. Sophie fréquentait davantage des jeunes rencontrés à l'école ou lors de ses activités sportives que ceux de son quartier. Pourtant, ces jeunes qui représentaient pour elle l'échec et la préoccupaient n'étaient pas sans lien avec son souhait de devenir magistrat.