Jihadisme : le parcours des combattants

Le contexte social (chômage, inégalités…) n’est pas suffisant pour comprendre le jihadisme. Les parcours de jeunes radicalisés montrent des étapes clés : avoir vécu des discriminations, mais aussi s’inclure dans un petit groupe de proches, lui-même relié à un réseau mondial.

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Quand on aborde la difficile question des jeunes partis faire le jihad ou qui commettent des attentats, on accuse parfois la sociologie d’invoquer des « causes sociales » (le chômage, les inégalités, la misère sociale, la discrimination) qui suffiraient à expliquer la révolte puis la radicalisation d’une partie de la jeunesse. Or, une autre approche sociologique permet d’éclairer différemment comment certains jeunes se radicalisent. Dans mon livre Comment en sont-ils arrivés là ? (2017), j’ai tenté de mettre en lumière les processus qui peuvent conduire certains jeunes à l’endoctrinement, à l’embrigadement, puis au passage à l’acte terroriste. Cette approche en termes de processus et de parcours dépasse les explications sociologiques globales et déterministes sans négliger pour autant les conditions de vie concrètes. Elle tente de cerner les étapes et les facteurs clés qui peuvent conduire certains jeunes sur la voie du terrorisme.

1. Le rôle des petits groupes

Tout d’abord, un premier phénomène apparaît clairement : les jeunes gens se radicalisent rarement tout seuls. Le jihadisme prend corps à travers des petits groupes locaux formés autour d’un noyau de proches. En France comme en Belgique, les cellules jihadistes qui ont préparé des attentats ou organisé des filières de recrutement pour partir combattre en Syrie ou en Irak, étaient confinées dans certains quartiers : en Belgique dans un quartier de Molenbeek et un autre de Verviers notamment, en France dans la petite ville de Lunel (Hérault), autour de mosquées aux Buttes-Chaumont, à Vesoul, à Trappes, à Champigny-sur-Marne. Ce sont des petites bandes de copains, réunis autour d’un leader, qui basculent dans la radicalité. Il est frappant de constater aussi l’importance des fratries chez les auteurs d’attentats : les frères Kouachi, les frères Merah, les frères Abdelslam, etc. La prison est également un lieu propice à la formation de ces noyaux de candidats au jihadisme. Ce fait n’est pas propre au jihadisme : toute l’histoire du terrorisme et celle des sectes religieuses fonctionnent sur des schémas similaires.

L’individu s’intègre dans un groupe à partir d’une expérience personnelle négative (échec, humiliation, colère, ressentiment…). Le groupe offre à l’individu une passerelle vers un destin collectif : une révolte personnelle (contre l’injustice, contre des humiliations) se meut en un combat global et historique du bien contre le mal. La cohésion au sein du groupe, animé par l’esprit de corps et une vision héroïque de son action, conduit à des phénomènes de polarisation, où les surenchères idéologiques et les actes de bravoure sont hautement valorisés. Le contenu de l’idéologie islamiste n’agit sur les esprits et n’influence les comportements que par le biais de ces processus de groupes. Ils fonctionnent comme des commandos d’élus, où l’attachement aux « frères » et compagnons de combat est essentiel.