Juger dans l'urgence

Les comparutions immédiates sont une procédure d’urgence qui ne permet guère de faire dans le détail. Pour comprendre l’audience et le jugement, la face visible de l’iceberg, il faut en fait remonter l’ensemble de la procédure. Démonstration avec le cas de Fétrédine Z.

C’est au standard téléphonique d’un tribunal de grande instance de la région parisienne, assuré en cette matinée du printemps 2006 par le jeune substitut du procureur Denis P., que l’affaire de Fétrédine Z. entre dans le circuit judiciaire (1). Vers dix heures, la voix de l’officier de police judiciaire (OPJ) d’un petit commissariat se fait entendre. Après avoir demandé des nouvelles de Denis P. et avoir échangé quelques plaisanteries, il en vient aux faits : des violences conjugales.

Fétrédine Z., né à Alger le 21 juillet 1959, est en garde à vue pour avoir battu sa femme. L’OPJ résume les événements : la voisine du couple Z. a appelé le commissariat la veille après avoir entendu des cris à travers la porte. Une voiture de patrouille arrive, Fétrédine Z. leur ouvre, les policiers trouvent Fadila Z., sa femme, étendue dans la chambre, avec un œil au beurre noir, son enfant de 3 ans à côté d’elle. Fadila affirme que son mari l’a battue après avoir trouvé le repas mauvais, elle détaille les coups reçus, ce n’est pas la première fois. Elle a cinq jours d’interdiction totale de travail (ITT) pour ses blessures. Fétrédine nie avoir commis des violences envers sa femme. Dans son casier judiciaire, les policiers ont trouvé un précédent cas de violences conjugales en 2002. Ils ont décidé de garder Fétrédine Z. à vue pendant la nuit. Denis P. réfléchit quelques secondes, avant de conclure : « Bien, c’est clair. Il est en récidive, il y a un enfant entre eux deux, donc on le défère. Comparution immédiate cette après-midi. Il y a constitution de partie civile ? » Oui, l’épouse a porté plainte. Denis P. prend quelques notes, puis raccroche. L’ensemble de la conversation a duré cinq minutes à peine.

En fin de matinée, Denis P. discute avec sa collègue Marie C. qui sera à l’audience de comparutions immédiates de l’après-midi. Il commente, à propos de Fétrédine Z. : « Bon, celui-là, violences conjugales sans histoire, récidive, ITT cinq jours, constitution de partie civile. Donc CI. Il est dangereux lui, il l’a frappée avec son enfant à côté. »

Ce dialogue téléphonique marque le début de la procédure pénale qui mène au procès en comparution immédiate. Les audiences de comparutions immédiates, anciennement nommées « flagrants délits », ont été largement décrites (2). Les observateurs dénoncent une justice d’urgence, de classe, et de race bien souvent, où des magistrats blancs et fatigués condamnent des prévenus en situation précaire, majoritairement étrangers ou issus de l’immigration, à de lourdes peines de prison ferme après quelques minutes seulement d’instruction dans des salles d’audiences surchargées.

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Ce que l’urgence fait à la justice

La comparution immédiate est une procédure d’urgence. Elle permet de faire comparaître, moins de vingt-quatre heures après l’infraction, les individus prévenus de délits encourant des peines d’emprisonnement comprises entre un an (six mois en cas de flagrants délits) et dix ans. La majorité des cas qui passent en comparutions immédiates sont des flagrants délits, où la police arrête l’individu au moment de l’infraction. Ce sont surtout des affaires de vols, de violences souvent conjugales, des délits liés aux stupéfiants, ainsi que des outrages et rébellions contre la police.

La procédure devrait être exceptionnelle, car elle est très rapide et ne permet qu’une préparation minimale des procès. Mais elle est désormais utilisée dans les grands tribunaux urbains comme un instrument courant de gestion des flux correctionnels. En 2005, respectivement 30,4 %, 22,4 % et 20,9 % des dossiers correctionnels de Bobigny, Créteil et Paris sont envoyés en comparution immédiate (3).