Il n’a pas fallu plus de quatre ou cinq semaines, de la fin août au début du mois d’octobre 2008, pour que le monde entier redevienne keynésien. Furieusement keynésien. La crise financière 2008 a en effet redonné toute son actualité au principal message de John Maynard Keynes : une économie de marché fonctionnant sans entraves peut parfaitement s’établir dans un état durable de récession et de chômage. Dans ce cas, seule une politique ambitieuse de dépenses publiques peut la tirer de ce mauvais pas. Car, dans un contexte de pessimisme des entreprises et des marchés financiers, seul l’État peut compenser l’effondrement de l’investissement privé. Publiée en 1936, en pleine grande dépression, la Théorie générale de Keynes venait apporter un renfort théorique au New Deal mis en œuvre dès 1933 et les premiers 100 jours du mandat du président américain Franklin D. Roosevelt. Alors que le mandat de Barack Obama s’amorce en claire référence à ce dernier, l’esprit de Keynes semble s’être échappé de sa bouteille, incitant les gouvernants du monde entier à méditer sur la fragilité inhérente de l’économie de marché.
Keynes aimait à se définir comme un hérétique, un penseur en rupture de ban, qui ne partageait plus la doctrine de la majorité de ses collègues économistes. Publié en 1936, la Théorie générale, son ouvrage le plus célèbre, s’attaque de fait à la clé de voûte de l’orthodoxie économique : la croyance dans l’autorégulation du marché. Qu’ils s’appellent Arthur Cécil Pigou (1877-1959), détenteur de la chaire d’économie politique de Cambridge, ou Friedrich von Hayek (1899-1992), figure montante de la London School of Economics, les économistes néoclassiques considèrent qu’une économie où les prix et les salaires sont libres de s’ajuster converge tôt ou tard vers un équilibre de plein-emploi.
Comment comprendre alors que depuis le début des années 1920 le nombre de chômeurs britanniques ne soit jamais descendu en dessous d’un million ? Et que dire des 20 % de chômeurs que le pays compte depuis le déclenchement de la grande dépression, au début des années 1930 ? Les théoriciens orthodoxes attribuent ces perturbations à de mauvaises interventions de l’État, soit une augmentation de la monnaie en circulation (F. Hayek), soit la fixation d’un niveau de salaire trop élevé qui décourage l’embauche (A. Pigou). Dans les deux cas, il suffit selon eux de laisser faire le marché et tout finira par rentrer dans l’ordre.
(1) Paul Davidson,, Palgrave, 2007.(2) N. Gregory Mankiw , , MIT press, 1993.(3) Hyman P. Minsky, «The Financial Instability Hypothesis», Philip Arestis and Malcolm Sawyer, Edward Elgar, 1993.