L'adulte n'est plus ce qu'il était. Depuis les années 60, il a subi bien des mutations. On magnifiait alors l'âge adulte comme la période signifiant la véritable entrée dans la vie, l'accomplissement de l'idéal humain. On se souvient à ce propos des célèbres ouvrages parus à l'époque, ceux de Carl Rogers aux Etats-Unis, celui de Georges Lapassade en France. qui conféraient à la vie adulte une perspective résolument optimiste et émancipatrice par rapport à la tutelle de l'enfance 1.
Un tiers de siècle plus tard, malgré les avancées spectaculaires des pratiques de scolarisation et de formation continue aux confins des années 1990-2000, le terme utilisé pour décrire l'adulte s'est métamorphosé de «personne» (chez C. Rogers) en «individu» chez Alain Ehrenberg ou Patrick Boulte.
Ce changement de vocabulaire révèle une évolution de signification : alors que la personne était intégrée dans un environnement social, l'individu est un être désocialisé, c'est-à-dire confiné à son propre isolement. Il est même qualifié d'individu incertain, ou en friches 2.
De l'adulte-étalon à l'adulte à problèmes
Ces cinquante dernières années, l'image de l'adulte s'est transformée en empruntant successivement trois états caractéristiques. Le passage de l'un à l'autre de ces états traduit des évolutions significatives de notre environnement social et de la place de l'adulte dans notre culture.
Jusque dans les années 50, l'adulte était la référence par rapport à laquelle se situaient les autres âges de la vie. Il s'agissait d'un adulte-étalon. Cet état illustrait une société à dominante rurale et traditionnelle, influencée par le jansénisme, le puritanisme et le moralisme républicain ; l'adulte-étalon était alors doublement étalon, à la fois représentant de la norme de l'ordre moral, et responsable de la reproduction des générations. L'adulte gardait une certaine permanence dans ses modes de vie malgré les changements qui apparaissaient dans son environnement. Il désirait incarner un idéal type, celui de la mère au foyer, de l'homme de métier, du professionnel spécialisé dans tel ou tel art, du prêtre, du militaire, de l'ingénieur. En s'identifiant à cet idéal type, il s'accomplissait et pouvait atteindre l'une ou l'autre forme de maturité.
Avec l'avènement des années 60, un nouveau modèle de vie adulte va rapidement s'imposer : celui de l'adulte en perspective. Les mutations techniques et culturelles génèrent avec elles le fameux fossé des générations, illustré en France par la crise de 1968. L'idéologie du changement aidant, l'adulte, dans la façon de se concevoir, modifie ses repères ; il ne se définit plus à travers l'une ou l'autre forme de maturité mais se considère en continuelle maturation ; le maître mot des psychologues anglo-saxons pour qualifier ce nouveau profil est celui de développement vocationnel : à travers les tâches qu'il réalise, que l'on appellera d'ailleurs des tâches vocationnelles, l'adulte se construit par ses projets de carrière, de formation, dans ses projets professionnels.