« L'Afrique a l'occasion de proposer une nouvelle utopie » Rencontre avec Felwine Sarr

L’écrivain et économiste sénégalais Felwine Sarr estime que ses atouts donnent à l’Afrique l’opportunité d’inventer un nouveau modèle de développement.

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> Felwine Sarr

Écrivain et universitaire, Felwine Sarr est né au Sénégal en 1972. Agrégé d’économie, il enseigne à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis-du-Sénégal. Il a notamment publié Afrotopia (Philippe Rey, 2016), Méditations africaines (Mémoire d’encrier, 2011 et 2012) et a codirigé, avec Achille Mbembe, Écrire l’Afrique-Monde (Philippe Rey, 2017).


L’Afrique a été considérée, après la décolonisation, comme un « réservoir de misères ». Aujourd’hui, les projections économiques deviennent favorables. Comment se situer entre catastrophisme et optimisme ?

C’est là toute la difficulté : porter un regard lucide sur le continent, débarrassé du désir de convenir à des cadres déjà fixés. Nos dirigeants, rivés sur les classements du FMI, restent dans une théorie du rattrapage. Il faut bien sûr regarder où nous en sommes en termes de défis – éducation, santé, économie, gouvernance politique – mais il faut réinscrire le regard sur ces sociétés dans leur historicité longue. Il faut regarder le continent dans ses limites mais aussi dans ses forces, ses potentialités, ses tendances et sa manière de se dire lui-même. Sortir des deux écueils que sont l’afro-optimisme béat et l’afro-pessimisme nihiliste. Ne pas non plus se laisser amadouer par cette nouvelle vulgate qui promet à l’Afrique d’être la dernière frontière du capitalisme, qui entend faire du continent et de ses ressources un nouveau terrain de jeu pour continuer une aventure économique dont on sait qu’elle n’est pas soutenable.

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En quoi la jeunesse de la population africaine est-elle un atout majeur pour le continent ?

Avant la traite négrière, la population africaine représentait 20 % de celle du globe. À l’apogée de la traite, vers la fin du 18e siècle, elle n’en représentait plus que 9 à 10 %, alors que la Chine et l’Europe occidentale atteignaient chacune les 20 % et devenaient des puissances continentales. La hausse démographique s’est sensiblement accélérée en Afrique dans les années 1990. Au même moment, la croissance économique a repris de manière durable. Aujourd’hui, il y a 1,2 milliards d’Africains. En 2050, nous serons 2,5 milliards, soit un quart de l’humanité, avec la proportion de jeunes la plus importante au monde. Les projections estiment que l’Afrique représentera 40 % de la population du globe en 2100. C’est bien sûr un défi car il faudra former, soigner, éduquer et offrir de l’emploi. Mais si on relève le défi de la dotation en capital humain, la jeunesse est une source de créativité, d’innovation et de progrès.