L'Afrique romaine, huit siècles de métissage

De la destruction de Carthage à la conquête musulmane, se mit en place une civilisation originale.

«Il faut détruire Carthage !» Tels sont les propos de Caton l’Ancien, un sénateur romain qui aurait ramené une figue fraîche d’un voyage dans la riche cité punique. De son site portuaire proche de l’actuelle Tunis, Carthage dominait alors le sud de la Méditerranée, ce qui en faisait la principale rivale d’une Rome en plein essor. En rapportant le fruit, Caton voulait démontrer à ses collègues la richesse proverbiale de son agriculture et le danger qu’elle faisait peser sur Rome, malgré la victoire de cette dernière contre le général carthaginois Hannibal en 202 avant notre ère. Et de fait, lorsque les Romains eurent détruit Carthage, en -146, au terme de la troisième guerre punique, ils se contentèrent de gérer le territoire conquis, dans le tiers nord-est de la Tunisie actuelle. Ils se préoccupèrent peu du développement de cette nouvelle province qu’ils appelèrent Afrique, même s’ils procédèrent au « découpage » du sol afin d’établir un cadastre et de mieux percevoir l’impôt foncier.

Coloniser sans annexer

Contrairement à une opinion bien établie, il n’y eut donc pas d’ample colonisation humaine, en dehors d’une tentative avortée, en -123, de fondation d’une colonie romaine sur le site détruit de Carthage. Devant l’opposition du Sénat romain, les 6 000 colons et leurs familles furent dispersés dans la province. Les autres occupants étaient les soldats et les négociants, relativement peu nombreux, qui s’installèrent en Afrique pour faire des affaires.

Mais Rome, du fait de sa conquête, se trouva alors en contact avec les royaumes berbères d’Afrique du Nord – les historiens les qualifient de libyco-berbères, car les auteurs antiques appelaient Libyens les premiers habitants de l’Afrique. Ces royaumes étaient de vastes conglomérats formés de cinq échelons : familles, clans, tribus, confédérations et peuples aux contours imprécis. Du fait des structures agnatiques 1 et de la polygamie qui prévalaient dans le monde libyco-berbère, ces royaumes avaient des frontières mouvantes et étaient des ensembles d’une grande plasticité, situation que le nomadisme ou le semi-nomadisme de certaines tribus ne faisait qu’amplifier.

Existaient ainsi les royaumes des Numides massyles et masæsyles et, plus à l’ouest, le royaume des Maures. Ces États entretenaient avec la République romaine (-509/-27) des relations de clientèle. Le royaume massyle, qui avait absorbé à la faveur de la deuxième guerre punique le royaume masæsyle (les historiens parlent de Grande Numidie), en fit les frais lorsque le prince numide Jugurtha, à la suite d’un conflit successoral, refusa l’arbitrage imposé par Rome. La guerre qui s’ensuivit, de -117 à -105, montra les limites des ambitions romaines. Après l’élimination de Jugurtha, la partie occidentale du royaume de Numidie fut annexée par le roi des Maures, Bocchus, qui avait pris le parti de Rome. La Numidie orientale fut confiée à un demi-frère de Jugurtha, le roi Gauda (-105/-88). À la mort de ce dernier, son royaume fut lui-même divisé en deux.