L'antisémitisme

« Plus jamais ça » criaient les manifestants en 1990, après la profanation du cimetière juif de Carpentras. Pourtant l’antisémitisme est toujours présent en ce début de 21e siècle, conduisant même à des assassinats. Quelle est donc cette haine qui semble impossible à juguler ?

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Qu’est-ce que l’antisémitisme ?

L’antisémitisme désigne la haine des personnes juives (ou supposées juives). Cette haine se nourrit d’un ensemble de préjugés. Par exemple, les Juifs se considéreraient comme un peuple élu supérieur aux autres ; ils éprouveraient un intérêt excessif pour l’argent ; ils comploteraient entre eux ; ils chercheraient à dominer le monde, etc.

Le terme est inventé en Allemagne dans les années 1860-1880 et s’impose rapidement dans le vocabulaire courant. Il assimile le Juif non pas à une religion (le judaïsme) mais à un peuple (les Sémites). Les présupposés sont en effet racistes : alors que les sociétés occidentales sont entrées dans un processus d’égalité civique et politique qui conduit notamment à l’assimilation des Juifs, l’antisémite proclame haut et fort l’impossibilité de cette assimilation en raison d’une supposée différence biologique entre « peuple juif » et « peuple aryen ». Pour reprendre les mots de Pierre-André Taguieff (L’Antisémitisme, 2015), cet antisémitisme peut être défini comme « l’ensemble des réactions négatives contradictoires à l’émancipation des Juifs ».


L’antisémitisme a-t-il toujours existé ?

Le mot « antisémitisme » apparaît à la fin du 19e siècle. Mais la haine des Juifs est bien plus ancienne. On trouve déjà des textes hostiles aux Juifs dans le monde grec antique. Dans un contexte polythéiste, où coexistent de nombreux dieux, les singularités de la religion juive – un dieu unique exclusif d’autres divinités, des lois alimentaires spécifiques, etc. – ont parfois nourri un sentiment d’hostilité. Les Juifs se voient alors reprocher leur « athéisme », c’est-à-dire le fait qu’ils récusent les dieux des autres ; ou leur « misanthropie », c’est-à-dire le fait qu’ils se tiennent parfois à l’écart, refusant par exemple de participer à des actes de la vie civique, comme des banquets, en raison de règles alimentaires. Ces tensions ont pu donner lieu à des violences ponctuelles, comme à Alexandrie en l’an 38. Mais celles-ci sont sporadiques et le plus souvent déclenchées par un contexte plus large : comme le résume l’historienne Katell Berthelot, on trouve dans l’Antiquité des motifs antijuifs, mais on ne peut parler de haine systématique et constante.

La haine des Juifs se structure en revanche dans le contexte chrétien. Elle se cristallise autour de motifs théologico-religieux, l’identité chrétienne se construisant pour partie par distinction du judaïsme dont elle est issue. D’où le mythe du peuple déicide, ou encore les légendes de profanation d’hosties : des Juifs achètent ou volent des hosties et tentent de les détruire. Miraculeusement, les hosties résistent et les Juifs sont punis. Comme le montre notamment Jean-Louis Schefer (L’Hostie profanée. Histoire d’une fiction théologique, 2007), ces légendes « sont évidemment didactiques » : elles permettent en creux de rendre intelligible le nouveau dogme de la transsubstantation, qui fait de l’hostie consacrée le corps réel du Christ. Apparaît aussi l’image du Juif usurier et avare, qui repose à la fois sur la figure de Judas, trahissant le Christ pour trente deniers, et sur les pratiques de prêts d’argent – exclus de nombreuses professions, certains Juifs exercent en effet des métiers du commerce ou de prêt d’argent. Le Juif devient l’étranger intérieur et, jusqu’au 18e siècle, subit périodiquement une marginalisation sociale et des violences. Mais les Lumières puis l’égalité des droits ne mettront pas fin à l’antisémitisme. Le 19e siècle voit l’essor d’un antisémitisme raciste, qui mobilise un discours pseudoscientifique au travers de travaux anthropologiques ou du recours aux statistiques.

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Les spécialistes distinguent ainsi plusieurs périodes : à la haine antijuive païenne de l’Antiquité succéderaient un antijudaïsme religieux au Moyen Âge, puis un antisémitisme laïque et politique à l’époque moderne, et, selon certains, une nouvelle « judéophobie » contemporaine. Mais des études récentes montrent la perméabilité qui existe entre ces différents moments. Ainsi des persécutions dans la péninsule ibérique étudiées entre autres par Jean-Frédéric Schaub (Pour une histoire politique de la race, 2015) : à la fin du 14e siècle, suite à des pogroms, une partie de la communauté juive espagnole se convertit au catholicisme. Quelques générations plus tard, les descendants de ces convertis sont soupçonnés d’être restés juifs, en raison d’une « nature » que le baptême n’a pu effacer : on voit ainsi naître les prémices d’un antisémitisme racial. À l’inverse, l’anthropologue Joanna Tokarska-Bakir a récemment montré la persistance des vieux motifs théologico-religieux (notamment l’accusation de meurtre rituel) dans l’antisémitisme contemporain polonais (Légendes du sang. Pour une anthropologie de l’antisémitisme chrétien, 2015).