© Brooke DiDonato
Dômes de chaleur, incendies et inondations gigantesques, spectaculaire fonte des neiges, épuisement des ressources planétaires un peu plus tôt chaque année… N’en jetez plus, la coupe est pleine ! L’écoanxiété (contraction d’écologie et d’anxiété), ainsi baptisée et théorisée en 1997 par Véronique Lapaige, chercheuse en santé publique belgo-canadienne, peut se définir comme un état d’anxiété face à une terre nourricière qui elle aussi souffre et semble vouée à mourir. En 2003, le philosophe australien Glenn Albrecht crée le néologisme « solastalgie » (du latin solacium, réconfort, et du grec algia, relatif à la douleur) après avoir observé l’accablement des habitants de la Hunter Valley face à leur environnement dégradé par une mine de charbon à ciel ouvert. Un état de déprime qu’il décrit comme « un mal du pays sans exil ». Anxiété, tristesse mais aussi colère (on parle désormais aussi d’écocolère) : l’écoanxiété recouvre bien des émotions, isolées ou superposées, et peine à trouver sa définition exacte.
Trouble, pathologie ou saine lucidité ?
Pour l’heure, l’écoanxiété ne figure pas dans le DSM, bible internationale des troubles mentaux. L’APA (American Psychological Association) l’a néanmoins évoquée en 2017 dans un rapport consacré à l’impact du changement climatique sur la santé mentale en précisant qu’il pouvait accroître les pathologies existantes telles les addictions, l’anxiété et la dépression. En France, des psychothérapeutes ont fait de la prise en charge de l’écoanxiété une de leurs priorités, à l’instar de Pierre-Éric Sutter, psychothérapeute cofondateur, en 2018, de l’Observatoire des vécus du collapse (Obveco). La littérature psy abonde elle aussi désormais en ouvrages qui abordent cette question. Si l’écoanxiété est bel et bien une souffrance psychologique, elle ne ressemble à aucune autre, car elle s’appuie sur une réalité tangible. Là-dessus, les experts s’accordent. Des chercheurs australiens et néozélandais précisent que « l’anxiété liée au changement climatique est une réponse rationnelle compte-tenu de la gravité de la crise » et alertent sur un danger de pathologisation des réactions émotionnelles à la crise environnementale. Ils ont mis au point une échelle de mesure de l’écoanxiété appelée « échelle de Hogg » qui permet de mesurer scientifiquement l’intensité de ce mal-être 1. Alice Desbiolles, médecin en santé publique, chercheuse et épidémiologiste, parle de « stress prétraumatique » lié au décalage entre la conscience saine et lucide d’un monde en danger et une vie collective où tout se passe comme si de rien n’était : « Les personnes écoanxieuses sont, in fine, les personnes rationnelles et lucides dans un monde qui ne l’est pas 2. » Mal dans leur peau mais pas malades, les écoanxieux ? La question reste (presque) entière, mais la recherche poursuit ses travaux.