Addictions : plaisir et dépendance

Alcool, cigarettes, drogues… mais aussi écrans, jeux, sexe, achats, travail. Peut-on vraiment être accro à tout et n’importe quoi ? Les nouvelles addictions comportementales sont-elles en train de remplacer les dépendances d’antan ?

Addictions : plaisir et dépendance - Les Grands Dossiers des sciences humaines n°76

© Yana Iskayeva / Getty

Si l’alcool, le tabac et le cannabis restent les drogues les plus en usage en France, le nombre de consommateurs quotidiens baisse depuis une dizaine d’années, et plus particulièrement dans la nouvelle génération. Selon les chiffres de l’OFDT (Observatoire français des drogues et des tendances addictives), l’expérimentation de ces trois drogues principales est en chute libre chez les élèves de troisième. Si en 2010, 53 % de ces jeunes avaient récemment consommé de l’alcool, ils ne sont plus que 32 % en 2021. Dans la même période, les utilisateurs de tabac au quotidien sont passés de 16 % à 4 % et ceux de cannabis de 11 % à 4 % 1. Est-ce que d’autres produits auraient pris le relais ? L’usage problématique d’Internet, l’addiction aux jeux vidéo ou à la nourriture seraient-ils en train de remplacer les substances psychoactives jusque-là utilisées de manière privilégiée pour compenser un mal-être flottant ?

Des toxicomanies sans drogues

Si les termes « alcoolisme » (1849) et « toxicomanie » (1910) sont déjà très anciens, on ne parle d’addictions que depuis les années 1960. Du latin « ad-dicere » (attribuer quelqu’un à une autre personne), ce terme désignait au Moyen Âge une sanction qui consistait à réparer par son corps (ou un comportement) une dette contractée. En 1990, le psychiatre américain Aviel Goodman définit l’addiction comme « un processus dans lequel est réalisé un comportement qui peut avoir pour fonction de procurer du plaisir et de soulager un malaise intérieur, et qui se caractérise par l’échec répété de son contrôle et sa persistance en dépit des conséquences négatives » 2. Les classifications psychiatriques répertorient des critères communs à plusieurs types d’addiction, y compris les addictions comportementales qu’on nomme parfois toxicomanies sans drogues. Mais leur intégration au sein de la nomenclature fait débat. Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5, 2013) ne reconnaît que le jeu pathologique (jeu d’argent et de hasard) comme diagnostic possible d’une addiction. À cela s’ajoutent le trouble du jeu vidéo et celui du comportement sexuel compulsif (encadré ci-dessous) dans la Classification internationale des maladies de l’Organisation mondiale de la santé (CIM-11, 2022).

Qu’est-ce qu’une addiction comportementale ? Pour la psychologue et professeure des universités Isabelle Varescon, directrice de l’ouvrage Les Addictions comportementales. Aspects cliniques, psychopathologiques et sociétaux (Mardaga, 2022), c’est le « résultat d’un processus interactionnel entre un individu et un objet externe, banal, à disposition de tous, qui conduit à une expérience sur laquelle se développe une dépendance principalement psychologique en raison des effets qu’elle procure et des fonctions qu’elle remplit ». Mais attention, toute passion ou occupation obsessionnelle n’est pas forcément synonyme d’addiction comportementale. « Il ne faut pas confondre plaisir et addiction. Aujourd’hui, on assiste à une vulgarisation à outrance du terme “addiction”. Toutes les activités récréatives sur lesquelles on passe du temps ne conduisent pas systématiquement à des addictions du moment où cela ne pose pas de problèmes dans la vie de tous les jours », précise Isabelle Varescon. Pour pouvoir être qualifiée d’addiction, la pratique excessive d’un loisir doit être envahissante au point d’avoir des conséquences négatives sur sa santé physique et mentale et sur ses relations affectives, familiales, sociales ou professionnelles (empêcher de travailler, d’avoir une vie de couple, de voir ses amis…). Pour certains, le jeu de hasard, les achats en ligne et d’autres activités potentiellement addictives vont rester du ressort récréatif. Pour d’autres, non !