Le changement à l’école apparaît comme un enjeu majeur, tant dans l’opinion que chez les politiques ou les chercheurs. Plutôt que de décrire et comprendre les processus de transformation à l’œuvre, la préoccupation dominante est de réformer l’école. Or, le consensus sur une réforme est très difficile à obtenir car chacun forge ses critiques et projette ses certitudes en fonction de son expérience propre. Celle-ci, con-struite pendant l’enfance et l’adolescence, conduit à méconnaître les changements réels (par exemple croire que la méthode globale est la méthode la plus répandue pour l’apprentissage de la lecture), à poser des problèmes dans des termes inappropriés (la question « Faut-il apprendre par cœur ? » à laquelle la réponse ne peut être que oui et non, selon les cas), à reprocher à l’école de trop changer ou pas assez (les controverses sur les changements de programmes).
Ceux qui ne partagent pas la volonté de réforme sont supposés « résister au changement ». Cette accusation place sur le registre de la psychologie (il existerait une volonté délibérée de résister) et de la morale (le changement serait forcément facteur de progrès) un concept de la sociologie des organisations qui vise à décrire des stratégies d’acteurs. Elle fait oublier que l’imaginaire social qui s’exprime dans des fictions ou des essais vantant une école d’autrefois idéalisée est très conservateur. Les idéologies dominantes sur le changement à l’école accomplissent un grand écart entre la nostalgie et l’injonction à réformer l’école.
Depuis 1977, pour accueillir tous les enfants dans un collège unique, les enseignants ont dû s’adapter – avec des bonheurs divers mais de façon significative – à la multiplication des formes d’aide à l’apprentissage (études dirigées et encadrées, consolidation des acquis en sixième, modules, aide individualisée en seconde, etc.).
Dans le second degré, une part de l’horaire – même si elle est rejetée à la périphérie de l’emploi du temps – est désormais consacrée à des travaux de recherche pluridisciplinaires (itinéraires de découverte au collège, travaux personnels encadrés en lycée, projets professionnels au lycée professionnel), dont la logique tranche avec la pratique du cours magistral dialogué. L’apprentissage de la recherche documentaire s’est généralisé au collège, l’usage de l’informatique comme outil de travail et support de communication croît, etc.
La pression de l’opinion, sans que les professionnels y aient une part décisive, contribue à maintenir le statu quo dans certains domaines. De plus, les politiques, pris dans des échéances électorales, mènent rarement les réformes à leur terme. Ainsi par exemple, le baccalauréat résiste victorieusement à l’extension du contrôle en cours de formation et à l’introduction d’un portefeuille de compétences pourtant réclamées par les lycéens lors de la consultation sur les contenus d’enseignement de 1997.
Quant à l’organisation du travail scolaire autour de la classe (un seul maître, un groupe d’élèves, un même lieu, un temps identique et une seule discipline), elle reste la norme renvoyant hors de l’établissement le travail personnel, leçons et devoirs.
Pourtant, des expériences engagées sous Alain Savary dès 1981 ont montré que la différenciation pédagogique (tenir compte dans l’organisation des apprentissages des différences entre les enfants) nécessite d’autres manières de travailler (formes souples d’emploi du temps, regroupements d’élèves différents selon leurs caractéristiques et les objectifs, co-interventions de plusieurs professeurs…).
Il faut se garder des explications simples (simplistes) et des solutions magiques, à tout faire. L’institution est souvent responsable des décalages dans le rythme des évolutions car elle ne prend pas toujours la mesure des changements qu’elle préconise et en évalue mal le coût pour les personnels. Pour l’enseignant qui innove, la conduite du travail au quotidien devient plus incertaine et entraîne des charges de travail supplémentaires (travail en équipe, relations avec le documentaliste, recherche d’intervenants extérieurs, et de nouvelles formes d’évaluation…). Tout cela en assurant les cours traditionnels, les corrections de copies, etc. La prise de risque est tout autant sous-estimée dans un monde professionnel officiellement très protégé mais, de fait, soumis à des tensions fortes. La hiérarchie ne parle pas d’une seule voix : jusqu’à quel point mon inspecteur est-il investi dans ce changement ?
Les maladresses des politiques qui affichent leur défiance a priori à l’égard des enseignants, les « bons mots » (la formule célèbre de Claude Allègre, le « dégraissage du mammouth » ne visait pourtant pas les enseignants), leur méconnaissance du quotidien de la pédagogie et parfois des textes (les affirmations du ministre Gilles de Robien sur le calcul mental) font des ravages. Or, les innovateurs bénéficient d’une faible reconnaissance institutionnelle. De plus, l’innovation n’améliore pas automatiquement l’image de l’établissement et la relation avec les familles, d’autant que les évaluations qualitatives du changement restent très souvent ambiguës parce que dépendantes de critères difficiles à objectiver et non pris en compte par les évaluations ministérielles.
Les acteurs doivent disposer d’une marge d’autonomie pour analyser, inventer et valider les pratiques adaptées aux problèmes qu’ils rencontrent. Pour guider leur travail, ils ont besoin d’objectifs clairs, de temps pour capitaliser leur expérience et la constituer en mémoire collective. Ils ont aussi besoin de s’inscrire dans des réseaux d’échange, de bénéficier de formes variées d’expertises de la part de professionnels d’autres institutions et de chercheurs.
Ceux qui ne partagent pas la volonté de réforme sont supposés « résister au changement ». Cette accusation place sur le registre de la psychologie (il existerait une volonté délibérée de résister) et de la morale (le changement serait forcément facteur de progrès) un concept de la sociologie des organisations qui vise à décrire des stratégies d’acteurs. Elle fait oublier que l’imaginaire social qui s’exprime dans des fictions ou des essais vantant une école d’autrefois idéalisée est très conservateur. Les idéologies dominantes sur le changement à l’école accomplissent un grand écart entre la nostalgie et l’injonction à réformer l’école.
Changements et résistances
Depuis un demi-siècle, l’administration scolaire s’est transformée. Outre les deux vagues de décentralisation (et de déconcentration des moyens), les changements les plus marquants sont certainement ceux qui concernent les pratiques pédagogiques.Depuis 1977, pour accueillir tous les enfants dans un collège unique, les enseignants ont dû s’adapter – avec des bonheurs divers mais de façon significative – à la multiplication des formes d’aide à l’apprentissage (études dirigées et encadrées, consolidation des acquis en sixième, modules, aide individualisée en seconde, etc.).
Dans le second degré, une part de l’horaire – même si elle est rejetée à la périphérie de l’emploi du temps – est désormais consacrée à des travaux de recherche pluridisciplinaires (itinéraires de découverte au collège, travaux personnels encadrés en lycée, projets professionnels au lycée professionnel), dont la logique tranche avec la pratique du cours magistral dialogué. L’apprentissage de la recherche documentaire s’est généralisé au collège, l’usage de l’informatique comme outil de travail et support de communication croît, etc.
La pression de l’opinion, sans que les professionnels y aient une part décisive, contribue à maintenir le statu quo dans certains domaines. De plus, les politiques, pris dans des échéances électorales, mènent rarement les réformes à leur terme. Ainsi par exemple, le baccalauréat résiste victorieusement à l’extension du contrôle en cours de formation et à l’introduction d’un portefeuille de compétences pourtant réclamées par les lycéens lors de la consultation sur les contenus d’enseignement de 1997.
Quant à l’organisation du travail scolaire autour de la classe (un seul maître, un groupe d’élèves, un même lieu, un temps identique et une seule discipline), elle reste la norme renvoyant hors de l’établissement le travail personnel, leçons et devoirs.
Pourtant, des expériences engagées sous Alain Savary dès 1981 ont montré que la différenciation pédagogique (tenir compte dans l’organisation des apprentissages des différences entre les enfants) nécessite d’autres manières de travailler (formes souples d’emploi du temps, regroupements d’élèves différents selon leurs caractéristiques et les objectifs, co-interventions de plusieurs professeurs…).
Il faut se garder des explications simples (simplistes) et des solutions magiques, à tout faire. L’institution est souvent responsable des décalages dans le rythme des évolutions car elle ne prend pas toujours la mesure des changements qu’elle préconise et en évalue mal le coût pour les personnels. Pour l’enseignant qui innove, la conduite du travail au quotidien devient plus incertaine et entraîne des charges de travail supplémentaires (travail en équipe, relations avec le documentaliste, recherche d’intervenants extérieurs, et de nouvelles formes d’évaluation…). Tout cela en assurant les cours traditionnels, les corrections de copies, etc. La prise de risque est tout autant sous-estimée dans un monde professionnel officiellement très protégé mais, de fait, soumis à des tensions fortes. La hiérarchie ne parle pas d’une seule voix : jusqu’à quel point mon inspecteur est-il investi dans ce changement ?
Les maladresses des politiques qui affichent leur défiance a priori à l’égard des enseignants, les « bons mots » (la formule célèbre de Claude Allègre, le « dégraissage du mammouth » ne visait pourtant pas les enseignants), leur méconnaissance du quotidien de la pédagogie et parfois des textes (les affirmations du ministre Gilles de Robien sur le calcul mental) font des ravages. Or, les innovateurs bénéficient d’une faible reconnaissance institutionnelle. De plus, l’innovation n’améliore pas automatiquement l’image de l’établissement et la relation avec les familles, d’autant que les évaluations qualitatives du changement restent très souvent ambiguës parce que dépendantes de critères difficiles à objectiver et non pris en compte par les évaluations ministérielles.
Envisager d’autres façons d’agir
Le changement ne se décrète pas. En revanche, il peut s’accompagner. Cet accompagnement doit satisfaire à un certain nombre de conditions (nécessaires mais non suffisantes). La capacité de changement des professionnels est d’abord liée à la confiance qu’on leur accorde et à une meilleure compréhension des problèmes qu’ils rencontrent au quotidien. Dans le feu de l’action, un enseignant a tendance à interpréter de façon systématique les « incivilités » des élèves comme autant d’agressions. Il existe bien d’autres interprétations possibles qui amèneraient probablement à d’autres réponses éducatives, plus efficaces que la sanction. Mais dans l’urgence de la situation, il n’a ni le temps ni les moyens de formuler d’autres hypothèses. Pour l’aider à trouver ces solutions, plus que de conseils, il a besoin d’un travail d’analyse avec des pairs, qui prenne sérieusement en considération ce qu’il ressent et ce qu’il pense, tout en lui permettant d’envisager d’autres façons d’agir.Les acteurs doivent disposer d’une marge d’autonomie pour analyser, inventer et valider les pratiques adaptées aux problèmes qu’ils rencontrent. Pour guider leur travail, ils ont besoin d’objectifs clairs, de temps pour capitaliser leur expérience et la constituer en mémoire collective. Ils ont aussi besoin de s’inscrire dans des réseaux d’échange, de bénéficier de formes variées d’expertises de la part de professionnels d’autres institutions et de chercheurs.