L'éducation prioritaire, 40 ans de réformes

Initialement conçue comme une mesure transitoire pour réduire les inégalités scolaires, l’éducation prioritaire a façonné durablement le système scolaire français. Quel bilan en tirer ?

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Difficile de réaliser la révolution qu’a constituée en 1981 la création par Alain Savary, ministre de l’Éducation nationale de François Mitterrand, des zones d’éducation prioritaire (Zep), rebaptisées depuis Rep. Pour la première fois, les pouvoirs publics revendiquaient la légitimité de donner plus aux élèves des territoires les plus défavorisés. Plus encore, elle encourageait l’école à s’ouvrir aux partenaires extérieurs – mairies, associations, parents – et à donner plus d’autonomie pédagogique aux enseignants. « À l’époque, l’idée de discrimination positive était peu répandue, car elle portait atteinte à l’idéal méritocratique républicain, fortement ancré à droite comme à gauche », relate Lydie Heurdier, chercheuse en sciences de l’éducation, spécialiste des politiques d’éducation prioritaire auxquelles la revue Histoire de l’éducation consacre son dernier dossier 1.

Passé l’effet de surprise, la mesure suscite peu de contestation ; introduite par circulaire (donc non débattue au Parlement), elle laisse les syndicats enseignants circonspects : « Il y avait des pour et des contre dans chaque organisation. Certains restaient opposés à la rupture d’égalité entre élèves, d’autres craignaient que l’autonomie accordée aux enseignants augure une forme de dérégulation, d’autres encore redoutaient un étiquetage des établissements classés », poursuit-elle. « Il y avait une très forte stigmatisation de ces établissements avec un racisme non dissimulé. Certaines écoles de mon secteur avaient refusé leur classement en Zep de peur d’être qualifiées “d’écoles d’Arabes” », se souvient Stéphane Kus, enseignant dans les années 1990 dans les Zep de la banlieue de Lyon.

Une politique aux mille visages

Aujourd’hui, plus de 20 % des élèves relèvent de l’éducation prioritaire. Mais que reste-t-il de l’esprit initial du dispositif ? Les données pour analyser ses évolutions restent éparses : « Nous manquons de recherches sur l’histoire récente de la massification scolaire », regrette L. Heurdier. L’historien n’a souvent d’autre choix que de décrire l’évolution des politiques nationales. Après la période fondatrice, qui s’étend jusqu’à la démission d’A. Savary en 1984, L. Heurdier identifie plusieurs phases de développement de l’éducation prioritaire, entrecoupées de périodes de stagnation, où celle-ci n’apparaît plus comme une priorité des ministères (lire p. 16).