La critique a parfois mauvaise presse en haut lieu, surtout quand, portée par la voix des sciences sociales, elle est accusée de mélanger un travail d’objectivation avec ce qui pourrait ressembler à un engagement militant. Pour lever tout malentendu à ce sujet, Claude Gauthier et Michelle Zancarini-Fournel, respectivement philosophe et historienne, remettent sur le chantier les notions classiques d’engagement et de distanciation et proposent une mise en perspective historique. Trois moments au cours desquels l’autonomie de l’université a été contestée sont passés au filtre de l’analyse : la période de l’affaire Dreyfus, celle qui va de mai 1968 à décembre 1986 et la fronde contre la Loi de programmation de la recherche de 2019-2020. La thèse défendue ce faisant est que la confusion entre la science et l’idéologie ne tient pas à des prises de position individuelles mais à des effets de contexte. Ces différentes séquences sont révélatrices plus exactement de ce que sont les sciences critiques : des activités scientifiques à visée universelle tout en étant l’expression d’un pluralisme d’engagements éthiques. La relecture des travaux d’Émile Durkheim et de Max Weber confirme ce bilan. Ces deux pères de la sociologie ne se sont jamais réfugiés, contrairement à ce que l’on écrit parfois, derrière un neutralisme de façade. Ils ont toujours revendiqué le double statut de savants à la recherche de faits objectifs et de producteurs de savoirs situés dans leur époque et donc utiles, espéraient-ils, à réformer la société.