L'hallucination : une perception sans objet

Voir un objet qui n'existe pas, entendre un son qui n'a jamais été produit : qu'elle soit visuelle, auditive ou olfactive, l'hallucination est une forme de délire transitoire causée par le cerveau de l'homme.

Nous admettons que les choses sont telles que nous les percevons. En fait, notre représentation du monde extérieur est fausse. Elle est le produit de notre cerveau : les couleurs, les sons, par exemple, n'existent pas dans la nature tels que nous les voyons et les entendons. Nos sens ne nous donnent d'ailleurs du monde qu'une image approximative et imparfaite, en tout cas incomplète, car la perception des messages situés hors des fréquences auxquelles nos organes sont sensibles est nulle : les ultrasons, les infrasons, les radiations situées hors du spectre visuel ne nous sont connus que grâce à des appareils détecteurs. Bref, ce que nous percevons ordinairement du monde est étroitement dépendant des activités limitées de notre cerveau et de nos sens.

Or, leur fonctionnement peut être perturbé. La perception sensorielle peut être insuffisante, voire supprimée : c'est le cas lorsqu'un trouble de la conscience (confusion, affaiblissement, état second, coma) fait obstacle à l'intégration des informations auditives, visuelles, etc. Elle peut être inexacte, lorsque l'objet entendu, vu ou touché est déformé, pris pour ce qu'il n'est pas, comme dans le cas des mirages ou des fausses reconnaissances. On parle alors d'illusion sensorielle. Enfin, la perception peut être encore sans objet : des choses, des êtres, des faits sont vus, entendus, sentis, touchés en l'absence de tout stimulus extérieur. C'est dans ce cas seulement qu'intervient ce que l'on appelle l'hallucination, depuis que, en 1853, R. Ball a donné à ce mot la définition que les psychiatres lui ont conservé depuis : celui d'une perception sans cause extérieure. Comme l'a écrit J. Baillarger en 1855, l'hallucination est un phénomène qui va du dedans vers le dehors, alors que la sensation normale va du dehors vers le dedans.

Illusions et hallucinations

L'idée s'est conservée, depuis, qu'une hallucination ne peut pas être confondue avec une illusion. Ce n'est pas une erreur des appareils sensoriels - rétine, cochlée, revêtement cutané ou muqueux - car leur stimulation ne peut déterminer que des sensations simples : lueurs, flammèches, acouphènes (1), fourmillements. L'hallucination est une activité injustifiée et incontrôlée des centres cérébraux dans lesquels s'inscrivent des représentations de choses, de personnes, de paysages, de paroles, de chants, de musiques, déclenchant des sentiments, des émotions, des idées.

Un des traits caractéristiques de l'hallucination est qu'elle s'accompagne d'une grande force de conviction. Typiquement, un halluciné est persuadé de l'authenticité de sa perception : les images, les sons et les odeurs qu'il perçoit ont l'intensité, la qualité et la durée des perceptions normales. Sa conviction peut être telle qu'il croit que tout le monde entend, voit et sent les mêmes choses que lui.

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Le dehors et le dedans

L'hallucination proprement dite comporte donc une perte de lucidité, et constitue un trouble au moins temporaire de la personnalité. Elle intéresse à juste titre les psychiatres depuis au moins le milieu du xixe siècle, et est, dans certains cas, associées à des pathologies mentales reconnues, comme la psychose aiguë.

Les psychiatres distinguent généralement deux grandes catégories d'hallucinations : intéroceptives et extéroceptives. Les premières portent sur des sensations internes au corps humain, musculaires, articulaires ou viscérales : sentiment de présence d'un membre amputé, de se trouver dans le corps d'une autre personne, d'être violenté.

Les hallucinations extéroceptives sont liées aux modes de sensibilité extérieurs : la vue, l'ouïe, le toucher, le goût et l'odeur.

Elles sont donc très diverses par leurs manifestations, et on peut les classer selon la modalité sensorielle concernée.

Les hallucinations visuelles sont sans doute celles qui ont le plus frappé l'imagination humaine, induit des croyances et inspiré de nombreuses légendes, poèmes et romans. Elles vont des formes les plus simples et abstraites (lueurs, points, formes géométriques) aux plus complexes (apparition d'objets, d'animaux, de personnes, de visions panoramiques et de scènes complètes, avec dialogues et interactions physiques). Certains types de visions, toutefois, apparaissent de manière répétitive. C'est le cas des hallucinations dites « lilliputiennes », peuplées de personnages ou d'animaux miniatures qui se poursuivent sur des étagères, des tables, des lits devant le sujet. Elles sont communes dans les crises d'intoxication, en particulier alcooliques, comme en connaissait le poète Alfred de Musset.

La vision « autoscopique » (vision de soi-même) est également un motif courant, dont on peut penser qu'elle est à l'origine du thème du « double » dans les croyances anciennes, qu'il soit démon maléfique ou ange gardien bienveillant. Le double a hanté les poètes, les artistes et les romanciers, en particulier romantiques : on le trouve dans plusieurs contes d'Hoffmann, chez Edgar A. Poe, Dostoïevski, Stevenson et Guy de Maupassant. Tous ces écrivains étaient atteints de troubles de la personnalité qui dépassaient la simple névrose. Dans Le Horla, Maupassant raconte qu'un jour qu'il se trouvait à sa table, il entendit la porte de son cabinet s'ouvrir et vit son double entrer, s'asseoir et commencer à lui dicter ce qu'il devait écrire. Le phénomène n'a pas d'explication neurologique simple, et on ignore s'il peut être relié à une lésion localisée : il s'agit plutôt d'atteintes étendues du cerveau, telles qu'on les observe dans les cas d'alcoolisme aigu, de syphilis cérébrale (cas de Maupassant), d'épilepsie.

Les hallucinations auditives varient également du plus élémentaire bruit au discours articulé. « Entendre des voix » est le prototype même de l'hallucination auditive, qui fait de l'halluciné verbal un sujet plus facilement délirant que l'halluciné visuel. Elle entraîne facilement des réactions passionnées : l'halluciné est tantôt captivé, fasciné par les voix, ou réagit vivement contre. D'autres opposent le mépris, mais rares sont ceux qui parviennent à s'en moquer.