L'hypothèse Sapir-Whorf. Les langues donnent-elles forme à la pensée ?

L'idée, courante au xixe siècle, qu'il existe un rapport intime entre la langue et les formes de pensée d'une société trouva une formulation plus scientifique dans les années 30. Bien que contestée, elle constitue aujourd'hui encore une référence pour le relativisme culturel.

«Quelle est l'influence réciproque des opinions du peuple sur le langage et du langage sur les opinions? » se demandaient, en 1757, les membres de l'Académie de Berlin. Posée sous de multiples formes, cette question a suscité la réflexion des philosophes, des lettrés, puis des linguistes, depuis que le simple constat de la diversité des langues parlées dans le monde peut être fait. Sommes- nous amenés, parce que nous utilisons des grammaires et des lexiques différents à penser différemment ? Cette diversité des langues va-t-elle jusqu'à rendre les cultures humaines hétérogènes les unes aux autres ?

Dans les années 50, deux linguistes américains, Edward Sapir et Benjamin Lee Whorf, aboutirent à la formulation d'une thèse qui a constitué pendant longtemps une référence pour le relativisme linguistique.

Connue sous le nom d'hypothèse Sapir-Whorf, elle dit à peu près ceci : les hommes vivent selon leurs cultures dans des univers mentaux très distincts qui se trouvent exprimés (et peut-être déterminés) par les langues différentes qu'ils parlent. Aussi, l'étude des structures d'une langue peut-elle mener à l'élucidation de la conception du monde qui l'accompagne. Cette proposition a suscité l'enthousiasme d'une génération entière d'anthropologues, de psychologues et de linguistes américains et, dans une moindre mesure, européens, dans les années 40 et 50, avant d'être mise à mal par le courant cognitiviste. Elle a influencé quelque peu le structuralisme français et, en dépit de réfutations apportées entretemps, poursuit son existence aujourd'hui auprès, principalement, d'ethno et de sociolinguistes.

L'hypothèse Sapir-Whorf

E. Sapir, linguiste et anthropologue, spécialiste des langues amérindiennes et inventeur de la notion de phonème, est surtout responsable d'avoir préparé le terrain à la formulation de la thèse qui porte son nom. En effet, on trouve dans son oeuvre, développée dans les années 20 et 30, l'affirmation de deux idées : d'abord un culturalisme, dominant à l'époque, qui accordait une place quasi exclusive à l'acquis dans la détermination des comportements humains. Ce qui lui faisait écrire que les « sociétés vivent dans des mondes distincts », et que le langage est un « guide de la réalité sociale ». Son rôle, comme linguiste, est d'avoir développé deux autres arguments, importants pour Whorf comme pour la linguistique en général. D'abord, c'est l'idée, issue de la phonologie, que les langues sont des systèmes de formes dont chaque élément est logiquement dépendant des autres. Ensuite, c'est la conviction que derrière les formes lexicales et grammaticales, il existe des « formes de pensée » plus ou moins inconscientes. Sapir appelle cela des « sentiments de forme », et insiste sur le fait qu'ils « organisent l'expérience différemment » selon les langues, et donc les cultures. Toutefois, il ne va pas plus loin dans la démonstration de correspondances entre langues et cultures.