Ethnie, nation, culture, identité : tous ces termes ont en commun d'avoir fait un retour en force dans le vocabulaire politique de ces dernières années. A la faveur de mouvements sociaux, de plusieurs guerres et des écrits les décrivant, ils ont réactivé un questionnement à la fois sociologique, politique et philosophique que l'on croyait étranger à la modernité : celui de la nature culturelle des frontières qui séparent les communautés humaines.
Dans L'Imbroglio ethnique, René Gallissot, Mondher Kilani et Annamaria Rivera unissent leurs efforts pour explorer le glossaire de la sociographie contemporaine suscitée par les questions d'identité culturelle. L'entreprise est pédagogique et explore le champ mitoyen aux sciences politiques et à l'anthropologie classique : citoyenneté, nationalité, identité, culture, ethnicité, racisme, stéréotypes, préjugés linguistiques... Sous ce dehors encyclopédique, l'entreprise s'avère toutefois animée par un souci particulier : celui de démonter les illusions communes qui s'attachent à l'usage de ces termes, et notamment celle qui consiste à croire qu'ils pourraient servir à désigner des objets stables et facilement reconnus.
Dans ces domaines, un peu d'histoire éclaire beaucoup : si la notion de « culture » a rencontré le succès scientifique et médiatique qu'on lui connaît aujourd'hui, c'est d'abord parce qu'elle a permis, au début de ce siècle, de faire pièce à l'ancienne théorie raciale des anthropologues, qui vouait les peuples colonisés à la domination illimitée. Il y avait là un progrès. Mais, souligne A. Rivera, son usage contemporain est ambigu : s'il lui arrive d'intervenir pour la défense de minorités opprimées, elle sert aussi à perpétuer un différencialisme qui n'est pas loin de l'idée de race, et peut supporter tous les nationalismes, xénophobies et ethnocentrismes.
A. Rivera nous invite donc à dépasser cet embarras de la culture dénoncé par James Clifford, et à renoncer à tout usage essentialiste de la notion : les cultures ne sont ni des traditions, ni des mentalités, mais des représentations construites par l'histoire, peu durables et activées au fil des circonstances. Dans le contexte actuel, l'appel aux cultures et aux rhétoriques de l'authenticité serait « l'expression de stratégies identitaires de défense de la part de groupes sociaux dominés ou exclus ». La position est donc clairement - pour parler le jargon actuel - « anticulturaliste », et suggère qu'il n'y a guère de pertinence, sinon aucune, à tenter d'expliquer des faits sociaux par l'existence de traditions culturelles (arabo-musulmane ou judéo-chrétienne).