L'insécurité, un enjeu majeur pour les villes

Apparue à partir des années 60, la violence urbaine est un phénomène général à la plupart des sociétés modernes. Toutefois, ses causes comme ses manifestations diffèrent d'un pays à l'autre. En France, elle exprimerait davantage une perte de confiance dans les institutions.

De tout temps, la ville a été le théâtre de violences : agressions, vols, émeutes, crimes... Dans une missive adressée au maire de Londres en 1730, l'écrivain Daniel Defoe se plaint déjà que « les citoyens ne se sentent plus en sécurité dans leurs propres murs, ni même en passant dans leurs rues » 1.

Depuis les incidents des Minguettes durant l'été 81, puis ceux de Vaux-en-Velin en 1990, de Sartrouville et de Mantes-la-Jolie en 1991... c'est une forme particulière de violence qui retient l'attention de l'opinion comme des médias : la violence urbaine. Par ce terme, les spécialistes sont convenus de désigner des actions faiblement organisées de jeunes agissant collectivement contre des biens et des personnes, en général liées aux institutions, sur des territoires disqualifiés ou défavorisés. Cette violence urbaine prend deux formes totalement distinctes, en fonction des lieux dans lesquels elle se déroule. « Certains délits sont commis en centre-ville, dans les centres commerciaux, dans les transports en commun par des bandes mobiles, de type "zulu", composées essentiellement de jeunes en provenance de banlieues parfois lointaines... Par ailleurs, des phénomènes de type anarchisant, émotionnels, se déroulent au sein de certains quartiers sensibles, de la part de jeunes appartenant en majorité à la "seconde génération" (de l'immigration), agissant sous forme de groupes, instables, occasionnels... et développant une sous-culture de quartier hostile aux représentants des institutions2. » Les violences urbaines ne se confondent pas avec la seule délinquance des mineurs (rouler en état d'ébriété dans une voiture volée n'est pas une violence urbaine) ni avec le sans-gêne ou l'intimidation au sein de l'espace public, qui ne sont pas des infractions punissables par le Code pénal.

Selon un sondage récent 3, huit Français sur dix pensent que les violences dans les villes et les banlieues ont atteint un niveau inquiétant, jamais connu auparavant. Deux tiers des sondés estiment qu'il faut renforcer massivement la présence de la police pour améliorer la sécurité dans les quartiers sensibles. Longtemps, pourtant, les pouvoirs publics ont refusé d'associer insécurité et quartiers défavorisés. Certes, dès 1977, le rapport de la commission Peyrefitte constatait une « soudaine montée de la violence en France (qui) s'inscrit dans les chiffres de la criminalité » mais il amalgamait sous le vocable de violence des phénomènes multiples. Il faut attendre le rapport Bonnemaison sur le sentiment d'insécurité en 1982, qui fait suite aux incidents des Minguettes, pour que des outils de prévention sociale de la délinquance soient proposés : le sentiment d'insécurité du public avait été compris et on souhaitait y remédier. Pourtant, seize ans plus tard, on a l'impression d'en être au même point. On pourrait reprendre à notre compte la réflexion du grand sociologue afro-américain Kenneth Clark devant la commission Kerner : « Je lis ce rapport sur les émeutes de Chicago en 1919 et c'est comme si je lisais le rapport de la commission d'enquête sur les désordres à Harlem en 1935, le rapport de la commission d'enquête sur ceux de 1943, le rapport de la commission McCone sur les émeutes de Watts. Je dois sincèrement vous dire, Membres de la commission, qu'on se croirait dans Alice au pays des merveilles, avec le même film qu'on nous repasse éternellement : même analyse, mêmes recommandations, même inaction 4. »