L'islam des jeunes n'est pas celui de leurs parents

À l’inverse d’une majorité portée à la désaffection religieuse, les jeunes musulmans de France non seulement conservent 
la foi de leurs parents, mais lui accordent 
une plus grande place dans leur vie.

Deux millions (Insee, 2008), trois millions (Gilles Kepel, 2011), entre cinq et six millions (Claude Guéant, 2011) ? On se perd en conjecture sur le nombre d’adeptes de la foi musulmane résidant actuellement en France, car l’établissement de tels chiffres suppose des enquêtes à peine licites au regard des règles de la laïcité. En tout état de cause, l’islam est la deuxième religion de France. Et qui plus est, depuis la fin des années 1990, les signes d’une piété musulmane beaucoup plus visible se sont manifestés dans la société française : femmes et jeunes filles voilées, barbes broussailleuses et crânes rasés, prières dans les rues, viande halal dans les fast-foods de banlieues et affaires de polygamie ont suscité d’âpres polémiques et des réactions politiques que personne ne peut oublier.

Des experts ont pointé du doigt les flux migratoires provenant de Turquie, du Moyen-Orient, du Sahel, du sous-continent indien, régions où la religiosité est forte, pour expliquer le phénomène. Mais ce n’est pas suffisant, car il est clair que, depuis la fin des années 1980, il existe une population de musulmans français qui ne sont pas les derniers à afficher une piété plus visible que celle de leurs parents algériens, marocains ou tunisiens, venus dans les années 1960. Pour de nombreux observateurs, il y a là comme la déception d’une attente : élevés par des parents discrètement croyants, socialisés par l’école et plus lettrés que leurs pères, ces jeunes nés en France n’allaient-ils pas suivre la pente générale de la sécularisation des modes de vie, et se détourner de la pratique religieuse ? Pour la raison exposée plus haut, rares sont les enquêtes qui entrent dans la boîte noire de la vie religieuse des familles. L’une malgré tout (1), menée par l’Ined et l’Insee en 2008 auprès de 21 000 personnes résidant en France, aborde la question de manière comparative. On y trouve des chiffres montrant qu’effectivement, il existe une exception musulmane. En effet, alors que la moyenne de la population enquêtée (avec ou sans origine étrangère) montre, d’une génération à l’autre, une nette tendance à l’abandon des religions, c’est beaucoup moins vrai chez les musulmans. Chez les chrétiens, le taux d’abandon est de 26 %, chez les bouddhistes de 30 %, mais chez les musulmans, de 11 % seulement. Autrement dit : en moyenne, l’adhésion à l’islam se transmet bien, surtout lorsque les deux parents sont de la même confession. C’est beaucoup moins le cas dans les couples dits « mixtes ».