La bonne fortune des graffeurs

Souvent perçu comme un vandalisme, le graffiti se vend aussi sur le marché de l’art. Comment, tout en gardant un pied dans la rue, l’art des graffeurs a-t-il pu atterrir sous le marteau des commissaires-priseurs ?

Les œuvres de graffiti art dérivent d’une pratique culturelle ayant connu son âge d’or à New York, du début des années 1970 au milieu des années 1980, avant de se développer en Europe, puis dans la plupart des pays développés. Les rames du métro de la « Grosse Pomme » constituent alors le support d’expression privilégié des graffeurs. Si ceux qui perpétuent aujourd’hui la tradition new-yorkaise dans les dépôts ferroviaires du monde entier s’exposent à des poursuites judiciaires, les œuvres de graffiti art bénéficient d’une entreprise de légitimation et de commercialisation réussie. En témoigne le succès croissant des ventes aux enchères thématiques organisées depuis le début des années 2000 : les œuvres de certains des graffeurs les plus réputés s'arrachent à des dizaines de milliers d'euros. La consécration d’artistes aux pratiques entachées d’illégalité et associés à un univers socialement distant du marché de l’art repose cependant avant tout sur la collaboration de différents intermédiaires.

Les premières tentatives de rapprochement du monde de l’art suivent de peu l’apparition du graffiti comme pratique culturelle. Dès 1972, Hugo Martinez – un jeune sociologue originaire du Bronx – rassemble une élite de graffeurs en vue de produire des œuvres commercialisables, essentiellement des toiles sur lesquelles ils reproduisent leurs activités clandestines. Les premières expositions dans des galeries d’avant-garde suscitent un engouement médiatique progressif et le graffiti accède à une première consécration muséale en 1981 : l’exposition « New York Wave » au PS1 associe des graffeurs à Jean-Michel Basquiat ou Keith Haring. Le travail de légitimation entrepris par des collectionneurs influents profite cependant mieux aux artistes précités qu’aux peintres du métro venus leur offrir une caution urbaine. Les efforts pour raccrocher le graffiti à des courants consacrés comme le pop’art sont alors loin d’être couronnés de succès.