La célébrité est-elle une nuisance ?

De la visibilité
. Excellence 
et singularité en régimes médiatiques
. Nathalie Heinich
, Gallimard, 2012, 
590 p., 21 €

Depuis l’invention des stars, la célébrité est une affaire qui marche. 
Plutôt que s’en indigner, Nathalie Heinich prend le parti de mettre au clair les moyens, 
les valeurs et les effets de l’étrange mécanisme de la reconnaissance publique.

Paris, février 2012, dans un magasin de vêtements pour femmes. Une vendeuse, une dame entre deux âges, s’approche en me fixant droit dans les yeux. Elle sait bien ce que je fais là : j’attends que ma compagne sorte de la cabine d’essayage. Elle va me proposer un café, un siège, un journal ? La voilà qui se décide :
« C’est vous ? C’est… l’acteur de cinéma ? » Bon, me dis-je, voila que ça recommence. Que répondre ? Oui ? Non ? Ou bien : « Non, mais c’est mon frère. » ? J’ai déjà tout essayé, pour rire, mais je ne trouve pas ça si drôle : c’est la quatrième fois que l’on me pose la question cette année. Je dis que non, je ne suis pas acteur. La vendeuse commence à douter, mais elle insiste.
« Si, si, je vous assure, vous lui ressemblez beaucoup. »

Ça ne me ravit pas vraiment. Je sais à qui elle pense : l’acteur en question est plus célèbre pour ses gaffes que pour ses pectoraux ou son regard glamour. La vendeuse ne retrouve pas son nom, mais elle dit qu’elle l’a vu dans plusieurs films, qu’elle a ri de ses maladresses et qu’elle le trouve, au fond, très sympathique. Comment s’appelle-t-il déjà ? Je lui dis son nom.
– « Oui, bien sûr, c’est ça ! »

La discussion enjouée qui s’engage ensuite (suis-je, oui ou non, le sosie de Pierre Richard ?) a peu à voir avec le dernier livre de la sociologue Nathalie Heinich. Mais l’incident, lui, illustre parfaitement la thèse qu’elle y expose et développe en détail : être célèbre, au XXIe siècle, ce n’est pas porter un nom mais avoir un visage qui a été vu en photo par des milliers, voire des millions de gens.