L’histoire de la répression de la sorcellerie en Europe a connu plusieurs grandes périodes. La première, au 14e siècle, voit le passage progressif de la lutte contre les hérésies religieuses à la lutte contre la sorcellerie, qui commence à prendre un contenu diabolique. Au cours du siècle suivant, le stéréotype de la sorcière moderne et du sabbat se met en place et les premiers grands bûchers s’allument. Une troisième période, qui va des années 1570 à 1620, constitue l’apogée des poursuites en Europe. À partir des années 1680 et durant tout le siècle des Lumières, la quatrième période correspond à la dépénalisation progressive de la sorcellerie.
1er acte : de l’hérésie à la sorcellerie
Jusqu’au 14e siècle, la croyance en la sorcellerie et en la magie fait partie du fonds commun des mentalités hérité de l’Antiquité et du haut Moyen Âge. Les premiers textes chrétiens condamnent fermement la magie, comme en témoigne ce terrible précepte : « Tu ne laisseras pas vivre la magicienne (Exode XXII, 18). » Le canon Episcopi, édicté en 906, demande au clergé d’éradiquer « les arts pernicieux de la divination et de la magie, inventés par le diable ». Il est précisé que les femmes qui prétendent chevaucher la nuit avec les démons pour rejoindre la déesse Diane (ou Herodias) sont victimes d’illusions oniriques d’origine diabolique.
Cette doctrine évolue au début du 14e siècle, après le grand combat contre les hérésies dont celle des Albigeois. Dans une période où l’insécurité économique, sociale, politique et religieuse voit se développer une stigmatisation de certains groupes comme les lépreux ou les Juifs, apparaissent les premiers textes officiels assimilant la sorcellerie à l’hérésie (dont la bulle Super illius specula publiée en 1326 ou 1327 par le pape Jean XXII). Dès lors, les rapports avec le démon rentrent dans la sphère de la réalité et quittent celle de l’illusion. Il faut ajouter que les procès qui se déroulent jusqu’au tournant des 14e et 15e siècles concernent aussi parfois les pratiques d’alchimie, de nécromancie ou de divination. La sorcellerie populaire fait également l’objet de répression. Les victimes en sont majoritairement des femmes, que l’on accuse d’empoisonnements et de sortilèges, mais sans que le diable y ait encore sa part.
La voie tracée par Jean XXII est suivie par ses successeurs, et en particulier par Benoît XII, et soutenue par les plusieurs traités d’inquisiteurs, comme ceux de Nicolas Eymerich, qui lutte dans le royaume d’Aragon entre 1357 et 1375 contre les « devins hérétiques ».
2e acte : la diabolisation de la sorcellerie
La deuxième époque est celle d’une focalisation progressive de la répression sur les sorciers et sorcières. Parallèlement s’élaborent un stéréotype du sabbat et d’un véritable code des sorciers.
Au début du 15e siècle, l’Église considère les Juifs et certains chrétiens comme des « nouvelles sectes » qui pratiquent en secret des « rites prohibés » tels que les sortilèges, la divination, l’invocation des démons, les enchantements, les conjurations, les superstitions, les augures, Ces « arts impies » et interdits sont censés pervertir le peuple comme l’affirme le pape Alexandre V dans la bulle du 30 août 1409 adressée à l’inquisiteur franciscain Ponce Feugeyron, dont l’action s’étend à tout le Sud-Est de la France (de la Méditerranée à la Savoie et à la Suisse). Cet arc alpin occidental devient en fait l’épicentre de la répression. C’est dans ces régions, vers 1435-1440, que se mettent en place les premiers éléments du stéréotype.