Tout commence il y a un million d’années avec Homo erectus. Notre lointain ancêtre invente le biface et le feu, la cuisine, l’habitat, le langage. Il invente aussi l’avenir. Ces inventions multiples procèdent d’une même capacité nouvelle, unique dans le monde animal : celle de forger des images mentales, qui, associées entre elles, permettent d’agir avec des idées en tête 1. En découle la capacité de fabriquer des objets, de former des projets et de créer des fictions (divinités, utopies, récits). Dès lors, les humains multiplient les inventions en tout genre : l’arc, les peintures rupestres, les parures corporelles, les plantes cultivées, les écritures, le fer et le verre, l’astronomie et l’astrologie, la monnaie et la métaphysique, le jeu d’échecs et les chapeaux, les moulins à vent et le moulin à café, les pyramides et les épopées, le pain et l’opéra, etc.
Puis, il y a quelques siècles, tout s’est accéléré : machine à vapeur, électricité, gratte-ciel, romans de gare, théorie de l’évolution, cinéma, jazz, smartphone, drones… Et nous voilà aujourd’hui.
Comment cela a-t-il été possible ? Quels sont les moteurs et les acteurs de ces vagues d’idées, de découvertes et d’innovations ? Comment se sont-elles propagées d’une civilisation à l’autre ? Avec quels effets ?
Les âges d’or de la pensée
À l’échelle des millénaires, l’évolution des idées n’a pas suivi une ligne droite et régulière. On peut repérer des moments de soudaine effervescence, où les idées se mettent à grouiller. Durant ces « âges d’or » 2, la pensée fait de grands bonds en avant. Dans les cités-États du sud de la Mésopotamie (Irak actuel), vers 3500 av. J.-C., apparaissent tout à coup l’écriture, les mathématiques, l’architecture monumentale (palais, temples et pyramides). C’est là aussi que s’inventent l’école, la littérature, la roue, l’araire, l’irrigation, la monnaie, le droit. Des foyers d’innovations similaires apparaissent en Égypte, en Chine, en Inde, aux Amériques. Au moment de ces éruptions créatrices, ces civilisations produisent aussi leur écriture, leurs mathématiques, leur astronomie, leur médecine, leurs castes de scribes, de prêtres et de savants. La convergence de ces évolutions demeure d’ailleurs une énigme historique des plus troublantes.
Le « miracle grec», il y a 2500 ans dans quelques cités grecques, est le prototype de ces « âges d’or » La Chine a connu un phénomène similaire à la même époque : au temps de Socrate et Platon, elle a de son côté Lao Tseu et Confucius, et voit fleurir des dizaines d’écoles philosophiques (la tradition parle de « cent écoles »). Cela se passe dans un pays alors divisé en une multitude de petits royaumes comparables aux cités-États grecques 3.
Vers l’an mil, la Chine a connu un autre âge d’or du savoir. Sous la dynastie Song (960-1280), les sciences, techniques, arts, la poésie et la philosophie s’épanouissent. On peut parler de Lumières chinoises. Au même moment, le monde arabo-islamique connaît les siennes. À Bagdad ou à Cordoue, les lettrés lisent Aristote, Euclide et Galien. S’appuyant sur les acquis des Grecs, Égyptiens, Mésopotamiens et autres Indiens, ils font faire un bond en avant aux mathématiques, à l’astronomie, la médecine. Ils bénéficient aussi de l’apport des savants indiens, qui, à l’époque de l’empire Gupta (autour du 5e siècle), connaissent également un essor remarquable.