Entretien avec Daniel Welzer Lang

La construction du masculin

Pour Daniel Welzer Lang, l'apprentissage de la virilité a longtemps été le produit d'une socialisation bien spécifique pour les garçons. Aujourd'hui, la domination masculine perd de sa force, et les nouveaux modèles masculins restent à définir.

Sciences Humaines : Vous êtes l'auteur de nombreuses recherches sur les rapports entre les sexes. Et particulièrement l'un des rares chercheurs à travailler sur le masculin et la virilité. On sait que, traditionnellement, les garçons et les filles sont socialisés différemment. Comment cela se passe-t-il pour les garçons ?

Daniel Welzer Lang : Pour parodier Simone de Beauvoir, on pourrait dire en effet que « l'on ne naît pas homme, on le devient ». L'injonction à la virilité est un code de conduite très puissant dans les représentations et les pratiques sociales des hommes... Dans les travaux que j'ai menés, lorsque l'on demande aux hommes de raconter les événements marquants de leur biographie individuelle, ils parlent beaucoup d'une socialisation masculine qui se fait dans les cours d'école, les clubs de sports, la rue ; tous ces lieux dont les garçons s'attribuent l'exclusivité d'usage, ce que j'ai appelé, par référence aux travaux de Maurice Godelier, « la maison des hommes ».

C'est dans le groupe des pairs que, dès le plus jeune âge, les garçons apprennent qu'ils doivent se différencier des femmes : ne pas se plaindre, apprendre à se battre, apprendre aussi à être les meilleurs... Tout ce qui n'est pas conforme à la conduite virile va être classé comme féminin. Le garçon qui n'y adhère pas va être la risée des petits camarades, exclus du groupe des hommes, souvent violenté. De fait, les hommes vont être socialisés à la violence masculine des plus forts sur les plus faibles.

C'est d'ailleurs cette même violence qu'ils vont reproduire par la suite dans le monde du travail, dans le couple... Les ordres de pouvoir masculin (politiques, professionnels, sociaux) reproduisent d'une façon ou d'une autre ces injonctions.

Les travaux du psychologue Christophe Dejours ont bien montré qu'un ouvrier du bâtiment ne peut pas dire qu'il a peur. Conjurer la peur va consister à surenchérir sur la virilité, ne pas s'attacher à 15 mètres de hauteur par exemple...

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