Qu'est-ce que l'humanisme ?

L’humanisme place l’homme au centre de ses valeurs. Mais quel homme ? Celui qu’il est ou celui qui travaille à se dépasser lui-même, au risque d’en oublier toute mesure et remettre en question sa place ?

« Il est bien des merveilles en la nature, il n’en est pas de plus grande que l’homme. » Cette exclamation du chœur, dans Antigone de Sophocle, exprime le principe même de la tradition humaniste philosophique : une exaltation de l’être humain face à lui-même, qui le porte à se considérer comme le plus admirable de tous les êtres de la nature. Cet émerveillement de l’homme pour l’homme trouve, dès ce texte ancien, son motif principal qui sera repris ensuite de siècle en siècle. Le plus digne d’éloge, écrit en effet Sophocle, c’est « l’esprit ingénieux » dont est doté l’être humain, sa mètis (la ressource imaginative et fabricatrice) qui lui permet de créer sans relâche mille et une formes aussi bien matérielles qu’immatérielles : outils et poèmes, machines et mythologies, œuvres d’art et sociétés, paysages et croyances, etc. La créativité de l’homme semble inlassable, inépuisable au point de lui donner toujours confiance en sa capacité à surmonter toute adversité. « Bien armé contre tout, dit encore le poète antique, il ne se voit désarmé contre rien de ce que peut lui offrir l’avenir. »

Dans le même texte pointe cependant une inquiétude, qui telle son ombre accompagnera toujours la pensée humaniste. Sophocle note par exemple que l’homme est « l’être qui tourmente la déesse auguste entre toutes, la Terre (…) avec ses charrues qui vont la sillonnant sans répit ». Ainsi l’homme est-il si bouillonnant toujours d’idées nouvelles qu’il bouleverse le cours du monde, force la nature à produire des fruits, fait surgir de l’artificiel là où il n’y avait que du naturel. Par-dessus tout, sa prodigieuse puissance de tout transformer, de tout recréer selon ses besoins et ses idées le prédestine à se conduire en roi de la planète. Mais est-il juste que l’homme se considère comme « maître et possesseur de la nature », selon la formule de Descartes ? Le tragédien grec avertissait déjà que « maître d’un savoir dont les ingénieuses ressources dépassent toute espérance », l’homme « peut prendre alors la route du mal comme du bien ».

Dès ce moment-là, par conséquent, l’humanisme se complexifie. Il n’est pas un simple éloge de l’humain, une célébration et une fascination béate face à ses pouvoirs. Loin de là, l’humanisme philosophique est une tradition de pensée critique, fondée sur l’affirmation que l’être humain doit être à la hauteur de sa puissance, qu’il doit la maîtriser et en faire bon usage. À grand pouvoir, grande responsabilité. À grand potentiel, grand effort. L’humanisme est ainsi une pensée et une voie de l’effort : « Humanisme s’entend de tout effort de l’esprit humain qui, affirmant sa foi dans l’éminente dignité de l’homme, dans son incomparable valeur et dans l’étendue de ses capacités, vise à assurer pleinement la réalisation de la personne humaine 1. »