Un chiffre, un numéro minéralogique, semble contenir toutes les peurs, tous les fantasmes liés à la banlieue, à l’insécurité et à l’islam qui inquiète : 93, la Seine-Saint-Denis. Après une enquête d’un an à Clichy-sous-Bois et Montfermeil (encadré ci-dessous), Gilles Kepel achève, avec Quatre-vingt-treize, un cycle de réflexion sur l’islam en France entamé avec Les Banlieues de l’islam en 1987. Le titre peut être lu comme une allusion à Victor Hugo, mais c’est davantage le lieu choisi (l’auberge des Thénardier se trouve à Montfermeil dans Les Misérables), qui fait le lien entre la modernité naissante du XIXe siècle et la réalité de ce début de XXIe siècle.
Revenant sur l’évolution de l’islam en France depuis trente ans, G. Kepel clarifie à la fois le rôle d’événements marquants pour les musulmans en France et la position des nombreux acteurs, des courants, des idéologies qui interagissent en permanence à l’occasion de débats résonnant dans la société française en son entier. Ce faisant, il met également au jour les stratégies à l’œuvre, dans un domaine où les calculs électoraux se mêlent aux visées fondamentalistes afin de contrôler une population musulmane qui n’en demande pas tant. L’histoire de l’islam en France a connu trois âges successifs, selon G. Kepel : l’« islam des darons » (des pères), l’« islam des Frères » et l’« islam des jeunes ». L’islam des darons est « un islam de soumission et de paix sociale » ; un islam en France plutôt qu’un islam de France, puisqu’alors l’Hexagone n’était qu’un lieu de passage avant le retour en terre d’Islam.