La face obscure de la mondialisation

À la faveur de l'expansion mondiale du libéralisme, les réseaux criminels internationaux bénéficient aujourd'hui d'une croissance soutenue. Leurs activités déstabilisent l'économie, détruisent l'environnement, gangrènent le social et corrompent le politique.

C'est à un voyage au cœur des ténèbres que nous invite Michel Koutouzis dans son essai L'Argent du djihad 1 : il y détaille quelques étapes de son périple dans le monde des finances occultes. Son introduction nous décrit comment, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, notre planète s'est scindée en deux camps. Ces deux espaces ne sont pas les zones d'influences définies par les deux superpuissances de la guerre froide. L'auteur dessine plutôt un monde régi par le droit, aux règles économiques définies ; et un antimonde, reflet nécessaire du premier, où rien n'est possible sans corruption et où les kalachnikovs sont payés en diamants de contrebande...

Le constat paraît manichéen. Il est pourtant partagé par nombre d'experts de la lutte contre la criminalité internationale. Paru en 1998, un ouvrage collectif titré Un monde sans loi 2 tirait la sonnette d'alarme : « Cessons d'imaginer le crime comme un virus attaquant un corps sain. Il n'est que le négatif de chaque société, son empreinte en quelque sorte, qui évolue avec elle. (...) L'économie criminelle n'est pas devenue par hasard un secteur en pleine expansion. Son histoire est indissociable de celle de la mondialisation financière 3. »

Un monde sans loi développait la thèse suivante : « L'ordre social et économique instauré dans les pays occidentaux après la guerre repose sur un double principe : l'encadrement de l'économie pour assurer une production de masse, et la mise en place de l'Etat providence pour favoriser une consommation de masse. » Les fruits de la croissance sont redistribués entre les entreprises (assurant ainsi leur développement) et les salariés (améliorant leur pouvoir d'achat). C'est le rôle de l'Etat que d'assurer la bonne répartition de ces fruits. A partir des années 1970, l'Etat décline et les crises économiques s'enchaînent (suspension de la conversion du dollar en or, hausse du prix du pétrole...). La sphère financière, hypertrophiée, exerce les régulations économiques et sociales que l'Etat n'a plus les moyens d'assumer. Voici venu le temps de l'économie casino, qui confie le bien-être de la planète à la bonne fortune de la spéculation. La libéralisation des marchés transforme les paradis bancaires et fiscaux en point de passage obligé des capitaux, qu'ils soient d'origine légale ou illicite (voir l'entretien p. 18). Les flux financiers étaient propres ou sales, blancs ou noirs, ils se mélangent et virent au gris. Dès les années 1990, « la finance spéculative est devenue le moteur de fait de l'économie mondiale (...). Il lui faut toujours plus d'argent et toujours plus de liberté (...). Chaque année, de nouvelles contraintes sont abolies et le marché devient toujours plus global. »