Les attentats de 2015 et de 2016 ont fait émerger un sentiment selon lequel « l’ennemi » lointain, Daesh, peut frapper sur le sol français, ce qui aboutit à l’idée que la France est entrée en guerre. Indéniablement, l’expérience des soldats français depuis la fin de la guerre froide ainsi que le discours politique des autorités confirment cette assertion. Néanmoins, la France est plutôt soumise à un « état de guerre » qu’engagée dans une guerre fondée sur une déclaration officielle et une mobilisation de l’ensemble du corps social.
Le discours de guerre face aux terroristes
La guerre contre la terreur comme rhétorique politique a surgi aux États-Unis à la suite du 11 septembre. Le gouvernement français n’a pas souscrit initialement à ce mouvement. Toutefois, depuis les attentats contre Charlie Hebdo, la donne a changé. D’une part, le traitement médiatique insiste sur le qualificatif de « scènes de guerre ». D’autre part, la réaction politique instituant l’état d’urgence entraîne une série de mesures exceptionnelles : fermeture des frontières et transfert provisoire des prérogatives judiciaires auprès des autorités administratives. La suspension des règles en raison d’une menace majeure sur l’État français amène ainsi à quitter le temps de la norme et de la paix pour entrer dans celui de la guerre. Il est vrai que Daesh en tant que proto-État mène une guerre hybride qui articule capacités conventionnelles sur le terrain moyen-oriental et approche indirecte via des attentats terroristes au-delà. Les mesures juridiques internes s’adjoignent aux orientations militaires à l’étranger qui ont comme visée de « détruire Daesh » ou, plus largement, les jihadistes qui revendiquent ce label. À cet égard, le « discours de guerre » face aux terroristes s’articule aux « expériences de guerre » qu’éprouvent les soldats français actuellement. En effet, la logique de dissuasion au cœur de la guerre froide n’avait exposé que partiellement ces derniers à l’expérience directe du feu. Les années 1990 ont modifié cette situation avec l’essor des interventions, en particulier en ex-Yougoslavie. Ce mouvement n’a fait que s’accentuer après le 11 septembre via, à titre non limitatif, les opérations en Afghanistan ou au Sahel. Celles-ci peuvent être offensives et parfois très violentes. Derrière les termes d’opérations de contre-insurrection, de stabilisation ou de pacification se manifestent des affrontements de haute intensité. La formation des jeunes officiers enregistre cette transformation puisque l’ancien Collège interarmées de défense est redevenu « École de guerre » en 2011. Malgré les contraintes budgétaires, l’effort français de défense demeure avec, comme préoccupation première, une plus grande agilité dans le déploiement. Ce qui suppose une mobilité d’unités réduites en nombre ainsi que l’appui des forces prépositionnées en cas de besoin (encadré ci-dessous). On peut s’interroger sur le caractère adéquat tant des mesures d’urgence que de l’outil militaire face à une menace qui ne s’éteindra pas rapidement. Mais la situation actuelle diffère de la guerre au sens strict, ou du moins telle qu’elle est définie dans la modernité et que Rousseau a résumé par l’expression : « La guerre n’est pas une relation d’homme à homme mais d’État à État. »