Dans tous les pays occidentaux, les relations internationales prennent une place prépondérante sur l'agenda des hommes politiques et investissent le coeur même de chacune des sociétés. Les événements internationaux et la politique nationale sont de plus en plus liés : c'est évident pour la construction européenne ou les tentatives de régulation financière mondiale. C'est également devenu évident pour les questions de droits de l'homme, comme l'ont démontré la création de tribunaux internationaux pour le Rwanda ou la Bosnie et plus récemment l'affaire Pinochet.
C'est aussi le cas des questions d'environnement : qu'il s'agisse de l'explosion d'une centrale nucléaire ou de tous les autres rejets polluant d'un Etat, l'ensemble de la planète peut être affecté. Les citoyens comme les gouvernements s'aperçoivent de la perméabilité des frontières territoriales.
Ces questions, devenues communes, sont au coeur de la réflexion d'une discipline scientifique peu connue : les relations internationales. Très formelle et principalement américaine, elle a élaboré un corpus considérable de travaux depuis un demi-siècle.
On peut, d'une manière simplifiée, distinguer deux courants de recherche principaux, nommés par les analystes des Relations internationales eux-mêmes des « paradigmes» :
- Le paradigme « réaliste », forgé dans les années 30 et 40, postule l'existence d'un système international anarchique, au sein duquel les Etat-nations tentent de maximiser leurs intérêts et leurs puissance.
- Le paradigme idéaliste-libéral postule l'interdépendance entre les Etats du système international et leur tendance naturelle à coopérer plutôt qu'à se combattre.
Ces deux courants identifient la scène internationale comme un « système » composé d'unités élémentaires fondamentales (les Etats) dont on peut modéliser les comportements pour aboutir à une relative capacité de prédiction.
Au côté de ces deux courants, dont le premier a été dominant jusqu'à la fin de la guerre froide et dont le second connaît aujourd'hui son apogée, plusieurs approches critiques se sont développées. Notamment, le « constructivisme social ». Ce dernier rejette l'idée qu'une théorie scientifique des relations internationales soit réellement possible. Plutôt fondé sur des travaux empiriques, il entend montrer le rôle des idéologies et des représentations sociales dans la définition de la politique des Etats.
En France, les spécialistes de ce champ se sont inscrits depuis deux décennies dans les discussions en cours outre-Atlantique. Une tradition réaliste dans l'esprit des travaux de Raymond Aron a continué d'exister. De même, une sociologie des relations internationales s'est développée. Cette vision sociologique française discute tout particulièrement l'universalité du modèle de l'Etat-nation, le rôle des idéologies politiques et l'importance des flux transnationalistes.
Le réalisme : une pensée pour la guerre froide
La première tradition d'étude des relations internationales remonte au xixe siècle et considère que la guerre constitue la tendance principale du rapport entre les Etats. Elle s'est justifiée par la transposition de la philosophie de Hobbes pour qui l'état de nature d'une société (ici la société est celle des Etats) est régulé par l'affrontement et la force. Cette vision, portée par les militaires et les diplomates, accompagnera les guerres interétatiques de la fin du xixe siècle et la montée des extrêmes dont l'Europe sera le théâtre dans la première moitié du xxe siècle. La première formalisation scientifique de ce courant s'est développée dans l'entre-deux-guerres et surtout lors de la Seconde Guerre mondiale 1.
Baptisée « réalisme », elle postule que l'Etat-nation, seul acteur des relations internationales, possède un comportement rationnel. A partir de 1945, la vision réaliste du système international est devenue dominante. C'est elle que l'on a utilisé « naturellement » durant toute la guerre froide pour fonder la politique de déploiement des forces en Europe ou dans d'autres secteurs d'affrontements militaires. La vision stratégique des Etats-Unis s'est ainsi appuyée sur la conception réaliste pour fournir des cadres à sa doctrine militaire et à son action internationale. Par exemple, lorsqu'ils sont intervenus militairement en Corée ou au Viêt Nam, c'est avec l'idée que l'équilibre des forces (the balance of power) était menacé, ce qui à terme mettait en cause leur « intérêt national ». Cette notion d'intérêt national est particulièrement cruciale dans la vision réaliste, puisque chaque Etat cherche à le préserver, en accroissant sa puissance ou en empêchant ses adversaires de développer la leur. Cette conception explique par exemple les raisons pour lesquelles le gouvernement des Etats-Unis peut estimer qu'un conflit, situé à des milliers de kilomètres de son territoire, menace son intérêt national, ou au contraire que tel autre, à sa porte, ne le concerne pas.
C'est en effet l'accroissement de puissance potentiel de tel ou tel Etat qui est apprécié, en fonction de la menace qu'il semble faire peser sur l'intérêt des grandes « puissances ». La formalisation réaliste a inspiré, de manière générale, toutes les politiques des Etats depuis la Seconde Guerre mondiale, URSS comprise. On la trouve remarquablement discutée et exposée dans l'ouvrage Paix et Guerre entre les nations 2, où Raymond Aron proposait, à l'aube des années 60, une analyse des relations internationales considérée comme l'une des plus pénétrantes, encore aujourd'hui.