La France, une société d'héritiers ? Entretien avec Mélanie Plouviez

Difficile de résorber les inégalités de patrimoine sans repenser cette institution en profondeur. Les débats du 19e siècle, plus riches qu’aujourd’hui, peuvent nous inspirer à cet égard.

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Pourquoi dit-on qu’il y a un « retour de l’héritage » aujourd’hui ?

Cette expression a été popularisée par Thomas Piketty dans Le Capital au 21e siècle (2013) pour désigner l’importance croissante que l’héritage revêt depuis les années 1970 dans les pays de l’OCDE. Sur la base de ce « retour », notre société peut être rapprochée de la société française du 19e siècle : aujourd’hui comme à l’époque, les positions patrimoniales issues d’héritages sont difficilement atteignables, voire inaccessibles, par la seule épargne des revenus du travail. Une société d’héritiers est ainsi un monde dans lequel, pour accéder à certaines positions sociales et patrimoniales, il vaut mieux hériter que travailler. Par exemple, qui aujourd’hui peut accéder par les seuls revenus de son travail à la propriété d’un logement à Paris ?

Cette « société d’héritiers » pourrait-elle néanmoins être égalitaire ?

On constate le contraire : dans les sociétés d’héritiers, le patrimoine est fortement concentré, c’est-à-dire inégalement distribué. Comme T. Piketty l’a montré, tout au long du 19e siècle, les 10 % les plus riches détenaient en France 80 à 90 % du patrimoine total ; les 1 % les plus riches de 45 à 60 % du patrimoine total – ce qui montre à quel point la Révolution française a échoué à résorber les inégalités de patrimoine. Aujourd’hui, la concentration patrimoniale est certes moins importante qu’elle l'était au 19e siècle : les 10 % les plus riches détenaient, en France en 2010, 62 % du patrimoine total ; le 1 % le plus riche 25 % du patrimoine total. Mais il y a une constante entre le 19e siècle et aujourd’hui, à savoir la part du patrimoine total détenue par la moitié la plus pauvre. Les 50 % les plus pauvres détiennent, aujourd’hui comme au 19e siècle, moins de 5 % du patrimoine total. Une société d’héritiers est ainsi un monde dans laquelle la moitié la plus pauvre de la population ne possède presque rien, et dans laquelle les fractions les plus riches de la population possèdent la majorité du patrimoine.