La laïcité, une singularité française ?

Pourquoi, dans l'Hexagone, la laïcité donne-t-elle lieu à des débats aussi passionnés ? Déterminer la place et les prérogatives des religions dans la société n'est pourtant pas qu'un problème franco-français, même si la France a été pionnière en la matière...

En cette année 2005, la France s'apprête donc à fêter les cent ans d'une de ses lois phare : la loi de séparation des Eglises et de l'Etat, promulguée le 9 décembre 1905. On aurait pu penser que ce centenaire de la laïcité - car c'est bien de cela qu'il s'agit, même si le terme n'apparaît pas dans le texte de loi - consistait simplement en la célébration d'un des plus prestigieux lieux de mémoire de notre république. Enterrés les vieux combats qui avaient déchiré le pays, entre pourfendeurs et partisans de la catho, ou, au sein même du camp laïc, entre libres-penseurs radicaux (partisans d'une éradication du sentiment religieux), concordataires (plus anticléricaux qu'antireligieux) et libéraux qui, à l'instar de Jean Jaurès et d'Aristide Briand, plaidaient pour une simple neutralité de l'Etat !

La laïcité, inscrite depuis 1946 dans la Constitution, paraissait voici encore une quinzaine d'années un acquis incontournable, évoquant des luttes d'un autre âge, sentant même un peu l'encre et la craie des hussards noirs de la république, une notion un peu vieillotte et presque ringarde en quelque sorte...

Mais la voici qui brusquement, au tournant du xxie siècle, passe de paisible lieu de mémoire à chef-d'oeuvre en péril. C'est en fait dès 1989 que son histoire commence à se réveiller avec l'apparition de jeunes filles voilées dans un collège de notre sacro-sainte éducation nationale. On connaît la suite : dans un contexte de malaise général de l'école, en proie à la montée des incivilités, les « affaires » de foulards islamiques se multiplient, au point que le président de la République décide, en 2003, de constituer une commission de réflexion sur le principe de laïcité dans la société française, laquelle commission, dirigée par Bernard Stasi, rendra son rapport en décembre 2003 et initiera la loi de 2004 sur l'interdiction des signes religieux ostentatoires à l'école (voir M. Fournier, « La laïcité assiégée ? », Sciences Humaines, n° 147, mars 2004).

Depuis quelques années donc, la laïcité est redevenue en France un débat national qui enflamme les passions, envahit la scène médiatique, suscite une explosion de parutions sur la question... A tel point d'ailleurs que nos proches voisins européens, et même ceux plus lointains d'outre-Atlantique ou du pays du Soleil levant, s'interrogent : en quoi un simple morceau de tissu peut-il ébranler les fondations d'une république comme la France, terre patrie des droits de l'homme ? La laïcité serait-elle alors, comme le prétendent certains, une spécificité exclusivement française, aussi emblématique de ce pays que son camembert ou son vin de Bourgogne ?