La main invisible du nudge

Puisque nous avons du mal à prendre de bonnes décisions, le principe du « coup de pouce » de Richard Thaler et Cass Sunstein est de nous remettre dans le droit chemin sans nous y obliger.

Bien que nous puissions tous en avoir besoin un jour, la greffe d’organes se heurte, dans la plupart des pays du monde, à une pénurie de donneurs. Cela ne veut pas dire pour autant que l’opinion soit massivement opposée à mettre son corps à la disposition de la médecine. Un sondage réalisé en 1996 dans l’État d’Iowa (États-Unis) montrait que 97 % des gens déclaraient être favorables à la transplantation d’organes. Mais 43 % seulement avaient fait la démarche minimum pour le signaler sur leur permis de conduire. Quant à ceux qui possédaient une carte de donneur en règle, ils étaient encore bien moins nombreux. Ainsi, beaucoup d’Américains déclarent être prêts à céder leurs organes post mortem, mais omettent d’accomplir les formalités nécessaires : comme beaucoup d’autres choses, il est toujours temps de le faire demain… Comment agir pour changer cela ?

 

Le oui par défaut

Richard Thaler et Cass Sunstein, respectivement économiste et juriste américains, sont les auteurs d’un best-seller aux États-Unis récemment traduit en français (1), où ce problème est examiné en détail. Il existe, expliquent-ils, différentes manières de gérer l’offre d’organes transplantables. La méthode américaine dominante est celle du volontariat explicite : pour être donneur, il faut le signaler et faire quelques démarches dans ce sens. Nous venons de voir que cette méthode moralement irréprochable donne des résultats limités. Compte tenu de l’opinion favorable de la majorité des gens, comment pourrait-on augmenter le nombre des donneurs ? On peut imaginer d’autoriser la médecine à disposer des corps sans rien demander à personne, et à opérer des « prélèvements de routine ». Bien que cela soit pratiqué discrètement pour certains organes (la cornée de l’œil), la méthode est difficilement généralisable, car « agressive » : elle viole ouvertement le principe de libre choix, et se heurte à une opposition massive de certains secteurs de l’opinion. La seconde méthode est le consentement présumé. En bref, cela consiste à considérer qu’à moins d’avoir dit « non », les gens sont « pour » : c’est ce que l’on appelle l’« opting out », ou encore le « oui par défaut ». Or, des sondages montrent que, lorsque le choix est proposé, l’option « par défaut » l’emporte très largement. Cette méthode, appliquée dans certains pays d’Europe, est-elle pleinement respectueuse de la liberté de chacun ? Elle peut l’être, mais à une condition supplémentaire : c’est que tout le monde soit soumis à l’obligation de choisir au moins une fois dans sa vie, par exemple lors de la délivrance du permis de conduire ou dans sa déclaration d’impôts. Telle serait la contrainte minimale permettant d’affirmer que toute personne qui n’a pas dit non a dit oui.