La manipulation mentale, deux siècles de fantasmes

La possession, l’hypnose, la dérive sectaire : autant de variations culturelles du manipulateur tout-puissant et de la victime assujettie. Mais l’influence véritable se joue ailleurs, en famille ou entre amis, dans nos interactions quotidiennes.

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Un serpent de mer. Ou alors une baudruche. En tout cas, rien qui justifie un tel tapage, de tels fantasmes et cris d’orfraie. Voilà en substance ce que représente la manipulation telle qu’elle est décortiquée dans une surabondante littérature selon Stéphane Laurens, professeur de psychologie sociale à l’université RennesII et auteur de Manipulations et influences. Réalités et représentations à travers deux siècles d’études (2017).

La source et la cible

S. Laurens se livre à une véritable généalogie des représentations collectives de la manipulation. Il s’autorise des incartades jusqu’aux phénomènes de sorcellerie et de possession, y voyant déjà les prolégomènes de ce qu’il appelle le « modèle individualiste source-cible » : un individu ordinaire, innocent, se retrouve sous l’emprise d’une entité toute-puissante incarnant le mal, et qui le réduit à l’état de pantin au psychisme désarticulé. Avec une menace venue d’en haut, écrasante, le rapport est clairement asymétrique.

La démonstration prend tout son sens avec l’exemple du fameux Franz Anton Mesmer, médecin viennois exilé dans un Paris prérévolutionnaire et se targuant de servir d’intermédiaire entre un mystérieux magnétisme universel et le commun des mortels. Sous son intervention, grâce à des passes manuelles ou l’utilisation d’aimants, les malades, assis parfois tous ensemble dans un baquet, se retrouvent plongés dans une transe bénéfique souvent accompagnée de convulsions. En 1784, deux commissions réunissant les plus grands scientifiques de l’époque comme Antoine Lavoisier, Benjamin Franklin et Jussieu concluent à l’inanité du phénomène, ou plus exactement expliquent que les guérisons obtenues, réelles, ne le sont que par l’imagination et la confiance des malades. Le magnétisme animal n’est qu’une faribole, mais la foi déplace les montagnes. Aucune force supérieure n’est à l’œuvre que la croyance, qui forge les attentes du sujet mesmerisé.