Qu'est-ce que la bioéthique et quand a-t-elle émergé ?
C'est de l'éthique, de la philosophie morale, appliquée aux sciences biomédicales. Le terme « bioéthique » n'a émergé que dans les années 1970. Mais le souci bioéthique est bien antérieur.
On peut, rétrospectivement, considérer que les règles fixées par la déclaration du tribunal de Nuremberg constituent les emblèmes de la bioéthique. Ces règles se sont affirmées à la suite du second procès dirigé essentiellement contre les pratiques des médecins nazis dans les camps de concentration. Ces médecins avaient procédé à des expérimentations de stérilisation ou de résistance au froid s'étant soldées par des mutilations ou par des morts. C'est contre ce type de pratiques que le tribunal de Nuremberg a fixé des règles pour la recherche. Ces règles sont très simples : elles affirment qu'on n'a pas le droit de pratiquer un acte expérimental, en particulier un acte de recherche, sur une personne sans son consentement volontaire. A l'époque, on ne pensait pas faire de la bioéthique mais tout simplement défendre les droits de l'homme.
Le scandale moral suscité par les pratiques des médecins nazis est donc crucial pour comprendre l'émergence de la bioéthique ?
Oui. Mais dans les années 1960 ont été révélées des pratiques médicales de recherche au fond très proches de ces dernières. Les affaires les plus frappantes se sont déroulées aux Etats-Unis.
Quelles sont-elles ?
Le scandale le plus grave, celui qui ressemblait le plus à ceux qu'avait condamnés le tribunal de Nuremberg, est celui de Tuskegee, petit village du Sud des Etats-Unis. Dans les années 1930, sous l'égide du ministère de la Santé, on avait délimité une zone dans une région habitée essentiellement par des Noirs. On y avait monté un dispositif de diagnostic de la syphilis chez les membres de cette communauté. L'idée des médecins était d'étudier l'évolution spontanée de cette maladie. Quand cette recherche a commencé, il n'existait aucun traitement. Or, à partir des années 1940, les médecins disposaient de la pénicilline, traitement absolument radical contre la syphilis, et pourtant ils ne l'ont pas administrée aux patients. Le scandale n'a éclaté que dans les années 1960 quand un journaliste a révélé l'affaire. C'est dans ce contexte traumatique qu'ont été formulées en juin 1964 à Helsinki des règles mondiale de déontologie de la recherche médicale.
La question de la recherche occupe donc une place centrale dans le souci bioéthique ?
Oui, tout à fait. Progressivement, la nécessité pour les médecins de pratiquer des actes de recherche sur leurs malades, parfois sans bénéfices directs, s'est imposée. Et, avec elle, la nécessité de constituer une déontologie de la recherche. La déclaration d'Helsinki est l'œuvre de l'Association médicale mondiale. En formulant une déontologie de la recherche, elle a par là même affirmé, au niveau mondial, que la médecine se livrait, devait se livrer à des actes de recherche. Enfin les médecins assumaient la nécessité de pratiquer des actes de recherche. Cela a constitué un tournant majeur pour la médecine.