«La religion reste un acteur de la vie des sociétés» Entretien avec Denis Pelletier

Autrefois majoritaire en France, la catholicisme s’est profondément transformé.


> Denis Pelletier

Historien, directeur d’études à l’école pratique des hautes études, auteur de Les Catholiques en France de 1789 à nos jours, Albin Michel, 2019.


Comment évaluer l’importance des faits religieux dans une société aussi sécularisée que la nôtre ? On compte les fidèles, on sonde leurs croyances, on mesure leurs pratiques, leur présence au culte ?

Généralement, on commence par des enquêtes statistiques, souvent par sondage, pour mesurer les appartenances, les pratiques et les croyances. Mais ce type d’approche a ses limites. Les pourcentages d’appartenance varient selon la manière dont la question est posée. Des pratiques qui semblent proches n’ont pas le même sens d’une religion à l’autre : l’assistance à la messe dominicale n’a pas la même signification chez les catholiques que la prière du vendredi à la mosquée pour les musulmans ; le ramadan pèse bien davantage dans l’appartenance musulmane que le carême chez les chrétiens.

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Toutes les grandes religions connaissent le pluralisme, mais elles le construisent de différentes manières : les catholiques doivent se situer par rapport au magistère de Rome ; la controverse est au contraire centrale dans la façon dont le judaïsme se construit comme « communauté » ; dans l’islam, quelques instances font autorité, par exemple l’université Al-Azhar pour les sunnites, mais elles peuvent toujours être contestées par d’autres.

Il faut donc se méfier de la statistique : le rôle des juifs dans l’histoire de la modernité européenne est sans commune mesure avec leur poids démographique. On voit bien aujourd’hui que le catholicisme continue de peser en France alors même qu’il devient minoritaire.

En France, on constate une désertification des églises catholiques. Comment caractériser ce déclin ? Est-ce la fin de la foi ?

Quand on se penche sur la religion catholique, on relève effectivement un déclin constant de l’appartenance depuis le dernier tiers du 19e siècle, et les enquêtes estiment aujourd’hui le nombre de catholiques entre 40 et 50 % de la population. Quant à la pratique dominicale, elle est devenue très faible, environ 5 % des croyants en France. En fait, le modèle de catholicisme qui s’est mis en place après la Révolution française reposait sur un magistère respecté, des pratiques régulières et fortement encadrées par un clergé nombreux, des mouvements militants qui tissaient le social. Ce dispositif s’est effondré dans les années 1965-1985.

Nous sommes aujourd’hui dans une société d’individus auxquels on demande d’être responsables de leurs croyances et de leurs jugements de valeurs. Ils sont mis dans l’obligation de choisir, fût-ce contre l’institution religieuse à laquelle ils appartiennent. Plus largement, il y a dans toute religion un équilibre entre la règle collective et la conscience individuelle. Mais cet équilibre varie dans le temps. Aujourd’hui, tout dans la société invite les individus à maximiser la part qui relève de leur propre conscience. Dans leurs croyances, ils se rattachent moins à ce que dit leur curé, leur imam ou leur rabbin, ils font plus confiance à ce qu’ils pensent eux-mêmes.