La révolution scientifique a-t-elle eu lieu ?

L’idée de « révolution scientifique » forgée par Alexandre Koyré et popularisée par Thomas Kuhn a été tenue comme une évidence. Jusqu’à ce qu’une nouvelle génération d’historiens des sciences remette en cause à la fois sa chronologie et son unité.

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La légende raconte qu’en mai 1543, avant de rendre son dernier souffle, Nicolas Copernic a pu tenir entre ses mains son livre, tout juste imprimé. Dans Des révolutions des sphères célestes, l’astronome polonais y affirmait que la Terre n’était pas au centre de l’Univers ! En 1633, c’est au tour de Galilée de démontrer la validité de la thèse de Copernic. Si la nouvelle vision de l’Univers proposée par les deux hommes est condamnée par l’Église, qu’importe : la révolution scientifique est en marche. Dans son Dialogue sur les deux grands systèmes du monde (1632), Galilée affirme que « la nature est écrite en langage mathématique ». Et que ces lois peuvent être découvertes grâce au calcul, à l’observation et à l’expérimentation.

En quelques décennies, des savants de renom comme René Descartes, Gottfried Leibniz, Pierre Gassendi, Christian Huygens et bien d’autres poursuivent le chemin ainsi ouvert. Isaac Newton parachève la révolution scientifique en cours. Dans ses Principes mathématiques de la philosophie naturelle (1687), il expose la loi de la gravitation universelle : le sommet de la science classique. Entre Copernic et Newton, un bouleversement scientifique a donc eu lieu : la nature est désormais considérée comme régie par les lois universelles que l’on peut dévoiler grâce à l’usage des mathématiques et à l’expérimentation. La science classique est née…

Voilà la belle histoire de la révolution scientifique telle qu’elle a été longtemps enseignée, vulgarisée et mise en scène. Voilà le récit qu’il nous faut pourtant sérieusement réviser…

Le temps des révolutions

Revenons d’abord sur la notion de « révolution scientifique ». Elle doit son succès à l’œuvre de deux historiens et philosophes des sciences : Alexandre Koyré (1892-1964) et Thomas Kuhn (1922-1996), et à quelques autres moins connus comme Rupert Hall (1920-2009) et Hubert Butterfield (1900-1979) 1.

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Leur idée de départ est simple : la science ne progresse pas de façon linéaire et continue au fil des découvertes, comme le soutenaient les philosophes des sciences de la génération précédente tels que Pierre Duhem (1861-1916) ou Léon Brunschvicg (1869-1944). Au contraire, estiment ces historiens, la science connaît, comme les sociétés, des soubresauts et des révolutions. Il est des moments où les anciens modes de pensée qui ont régné pendant des siècles s’effondrent et où une nouvelle vision du monde prend sa place.